Ouvrir une chronique de cinéma par des métaphores sportives peut paraître à première vue maladroit. En fait, dire que la course à pied et le cinéma sont des activités différentes est une banalité ; ceci-dit, il pourrait exister une relation métaphorique entre les deux : si la série télévisé peut se comparer au marathon, et les long-métrages aux courses de longue distance, le court-métrage, lui c’est les cent mètres.
Mais étrangement, alors que les épreuves de vitesse capturent l’intérêt des passionnés d’athlétique, et les noms de ses champions sont connus et révérés, les courts métrages restent par contre un peu les frères pauvres de la famille des cinéastes et des cinéphiles. Une claire injustice pour pallier à laquelle nous proposons un regard au Festival des court-métrages d’Hendaye, le Hendaia Film Festival, cette année à la seconde édition.
Né l’année passée sous l’initiative d’une association appelé Begiradak (qui veut dire ‘les regards’ en langue basque et dirigé par Angela Mejias), le Festival des courts-métrages d’Hendaye est en train de se consolider pour se transformer en rendez-vous culturel important de la ville frontalière comme l‘a souligné le président d’honneur du festival, le connu écrivain cubain Eduardo Manet.
Comme le savent les lecteurs dans combats-magazine, nous nous efforçons, entre autres, de présenter la frontière non pas comme un lieu où une entité étatique termine, mais un endroit privilégié où d’autres liens se tissent et des différences se rencontrent. Dans ce sens le Festival des Courts-métrages d’Hendaye contribue à donner cette image à laquelle nous tenons de la frontière.
Signalons en fait que l’une des trois prix des différentes catégories du festival est la compétition Aquitaine – Euskadi, nous renvoie justement à l’euro-région composé par une région française et la Communauté Autonome du Pays basque espagnol, et qu’Hendaye est effectivement le lien du rencontre logique par son fond historique et culturel basque et son appartenance institutionnelle à l’Aquitaine. Comme quoi une ville à la frontière d’un Etat peut se trouver au centre d’un continuum d’un ensemble non-étatique
Venons aux courts gagnants de cette deuxième édition du Festival des films d’Hendaye et commençons par le prix de la compétition Aquitaine-Euskadi. Le jury présidé par Marc Armspach et composé par Laurent Ferrière, Enrique Santiago Rodriguez et Nuria Sayago ont primé deux films : Kijima Stories de la réalisatrice Laetitia Mikles et Peter Pan d’Imanol Ortiz.
Kijima Stories est un documentaire qui retrace des épisodes de la vie d’un ancien membre de la yakuza qui a décidé d’abandonner la notoire mafia japonaise et chercher une nouvelle vie sur l’île de Sapporo dans le nord du pays. L’œuvre se déroule de façon originelle dans un jeu de relais entre témoignages sur les aléas et des dessins à propos du parcours de l’ancien mafieux : aux mots de ceux qui ont connu le protagoniste suivent des dessins. Le résultat est un délicat métissage de paroles et couleurs indiquant un parcours de vie et qui pourrait, on l’espère et comme l’a souhaité la réalisatrice au moment de recevoir e prix « rapprocher l’île japonaise de Sapporo au Pays Basque et l’Aquitaine ».
Peter Pan d’Imanol Ortiz est l’autre gagnant de la compétition Euskadi – Aquitaine : quatre petits et intenses minutes pendant lesquels un enfant réfléchit sur l’image du père en essayant de l’imaginer dans la peau d’un personnage ou d’autre qui le font rêver.
Full disclosure (ou par souci d’objectivité, comme me suggère un forum de traducteurs) : sauf exception moi je n’aime pas les films ayant des enfants comme protagonistes. En fait ils provoquent instinctivement la mémoire du refrain d’une fameuse chanson des Pink Floyd d’il ya beaucoup de lunes « Hey…leave those kids alone… » (Pas besoin de traduction dans ce cas j’espère). En essayant de rationaliser ce reflex et au risque de caricaturiser les raisons de mon aversion au genre « enfant-centrique » je dirais qu’il s’agit d’une déclinaison de l’orientalisme si bien pourfendu par Edward Said : au lieu d’avoir des Occidentaux passant des jugements sur l’Orient, nous avons des adultes qui font parler les enfants. Dit autrement, allez savoir si c’est vraiment ce que les petits pensent, plutôt qu’un reflexe des à priori des grands. Ceci dit, félicitations au réalisateur pour le prix.
De l’interrégional basco-aquitaine à l’international. Le jury de la compétition international présidé par la cinéaste de souche géorgienne Nino Kirtzadé et composé par Bernard Debord, Marie José Castaing et Christel Noir ont donné le prix de la meilleure interprétation à l’actrice Laeticia Andrieu dans le rôle d’une enseignante de La Princesse Lamour d’Amour du réalisateur Arnaud Lalanne. Une prof raconte une histoire à des enfants, la princesse qui cherche un prince, enfin la vieille histoire, puis le long de ces 9 minutes 28 seconds de durée du film, le classique conte se transforme et prend un peinte carrément postmoderne : on découvre que la princesse est bisexuelle, et qu’un prince en manteau rouge chante l’internationale…
Ce qui nous a interpellé dans ce film n’est pas la magistrale interprétation de l’actrice, ni la sympathie de l’histoire en soi, mais l’arrière plan, où les enfants écoutent et leur sourire joyeux se transforme en perplexité au fur et mesure que le conte de la prof s’éloigne de la norme. Dans ce sens, ce court-métrage est en train de nous rappeler le défi parfois désespérant des enseignants qui courageusement essayent d’élargir les horizons de leurs élèves.
Le prix du film de la compétition internationale est allé à Pain-Démie du basque Ruben Sainz. Une comédie sympa se déroulant dans le contexte de la crise économique qui n’épargne personne. Un jeune homme sans travail entre dans une boulangerie pour voler la caisse, mais se retrouve pris dans une situation ubuesque de laquelle il aura du mal à s’en sortir. Mais cette histoire simple nous renvoie un message important qui se cache dans les dialogues et qui nous révèle l’effet sournois du cinéma et de la télé sur le comportement des personnes. Il est ainsi que le jeune homme admet d’être passé à l’acte violent du vol à main armé (de couteau à papillon) parce qu’il a vu trop « de films des années 80 » et la boulangère victime passe d’une attitude de sincère compréhension pour les raisons qui ont poussé le jeune à voler, à un comportement victimiste au moment d’être interviewée à la télé. Nous vivons dans une société où les personnes abandonnent leurs personnalité pour se transforment en marionnettes animés à distance par un script de télé ou de cinéma.
Un autre court-métrage gagnant a été l’espagnol Acabo de tener un sueño ou Je viens de faire un rêve. Une gamine blanche de bonne classe moyenne se réveille prise de panique, elle raconte son cauchemar. Un gamine berbère se réveille heureuse et raconte son rêve. Les deux filles de 8 ans ont fait le même rêve, mais ce qui pour la première est source de effroi, pour la seconde est une source de joie. On comprend pourquoi ces 7 minutes du réalisateur Javier Navarro ont conquis le cœur et du comité de sélection et d’Eduardo Manet, le président d’honneur du Festival en particulier. L’œuvre de Javier Navarro nous rappelle de façon forte et belle que la perception de la même chose provoque des réactions différentes selon le contexte des personnes. Comme l’explique un vieux dit anglais (reality is in the eye of the beholder), la réalité est dans l’œil de celui qui la regarde.
Terminons cette chronique dédiée aux gagnants de la deuxième édition du Festival des court-métrages d’Hendaye en signalant deux prix d’une session spéciale appelé Vivre en Euskara (la langue basque). Nous tenons à signaler cet événement parce qu’il illustre la volonté de vivre dans une langue minoritaire sans complaisance et sans hypocrisie. Vivre en langue basque est aussi regarder un film a expliqué Paul Bilbao le secrétaire général de l’organisme à l’origine de cette initiative.
En fait les court-métrages de cette session résument bien ce qui suppose pour les réalisateurs de vivre en euskara. L’un des gagnants à été un film sans voix où le conflit linguistique entre la langue minoritaire, le basque et la langue majoritaire, l’espagnol s’exprime par des pancartes portés sur la poitrine des personnages ou attaché sur des objets. La capacité de dénoncer la solitude linguistique des locuteurs d’une langue minoritaire par le silence, sans siffler mot nous a paru géniale. L’autre court gagnant, met en scène un garde civil espagnol complètement basquisé. Le jury compétent a voulu primer un clin d’œil à l’espoir d’une normalisation linguistique de la société basque. Dit autrement le jour où même la « Benemérita » (ainsi est connue la Guardia Civil en Espagne) dont la sainte patronne est la « espagnolissime » Vierge du Pilar sera bascophone, la langue basque aura gagné sa place au soleil. A’ vrai dire, et au risque de nous planter, dans ce court, très court de 3 minutes environ, nous avons vu aussi un fond d’amère ironie, en d’autres mots un rappel que le combat pour la normalisation linguistique de l’euskara est loin d’être gagné.