Honneur à Magical Girl. Malgré le titre anglais, il s’agit bien d’un film espagnol. C’est lui, le film du réalisateur Carlos Vermut, qui a non seulement remporté la Coquille d’Or de la 62e édition du Festival International du cinéma de Saint-Sébastien mais aussi la Coquille d’Argent pour le meilleur réalisateur de la sélection officielle.
Difficile de raconter l’histoire de cet film. Au dire de son auteur le film apparaît plutôt comme « un puzzle incomplet » que le spectateur est invité à compléter par l’imagination. Le protagoniste est un professeur de littérature au chômage dont la fille , atteinte d’une leucémie, est en phase terminale. Désespéré par la mort imminente de sa fille, le père veut lui offrir le cadeau de ses rêves. Sans un sou et poussée par les circonstances que la crise économique aggrave, « ce brave type se transforme en voyou et maître-chanteur ».
Ce n’est pas un hasard si le cinéaste choisit un enseignant sans emploi comme protagoniste car dans l’actuelle crise sociale et économique dans laquelle l’Espagne est plongée, ce chômeur de la classe moyenne a valeur d’exemple. Jusqu’où est-t-on prêt à aller lorsqu’on est acculé au pied du mur ? Ceci nous conduit à une premier constat : les films de cette édition nous ont paru nettement meilleurs par rapport aux années précédentes , comme si par un jeu de vases communicants, la crise en Occident provoquait une explosion de créativité. Cette loi selon laquelle l’adversité donne des œuvres plus fortes se vérifie à nouveau.
Pour sa part le prix spécial du jury de la section officielle, présidé par Fernando Bovaira et composé par Vlad Ivanov, Eric Khoo, Natasja Kinski, Mariana Rondón, Marjane Satrapi et Reinhold Vorschneider est allé à Vie Sauvage du français Cédric Kahn. C’est l’histoire d’une cavale qui a duré onze ans. Un père s’enfuit avec ses deux fils au grand dam de la mère qui en avait obtenu la garde. Le film s’appuie sur le livre des frères Fortin, qui, gamins, avaient préféré la vie nomade et « marginale » du père à celle plus « normale » et intégrée qui leur proposait leur mère.
Vie Sauvage est une histoire humaine d’une grande intensité. Le réalisateur dit avoir voulu éviter l’écueil idéologique pour s’intéresser au « trajet intime des personnages et notamment au conflit entre un homme et une femme dont les projets de vie pour eux et leurs enfants sont diamétralement divergents ». Ceci dit, il est impossible de ne pas voir dans ce film la colère contre un système qui laisse tomber son masque d’ouverture et de tolérance dès que les individus s’engagent dans des choix de vie radicaux qui lui sont opposés. Le fait qu’un jury si cosmopolite et de langue et culture si différents ait primé cette œuvre souligne que bien heureusement, la révolte est et reste fascinante et contagieuse.
La Coquille d’Argent pour la meilleure interprétation féminine est allée à l’actrice scandinave Paprika Steen, l’interprète de la sœur aînée du film danois Stille Hjerte, Silent Heart (Cœur Silencieux). Réalisé par Bille August le film traite de l’euthanasie, une thématique au centre du débat social en Danemark. Ayant décidé de se faire euthanasier, la mère qui souffre d’une maladie dégénérative, sublime Guita Norby, invite ses deux filles et leurs époux à un dernier repas. Trois générations de femmes, la mère, la sœur aînée et la cadette, se parlent, discutent et se confrontent. Tourné à l’intérieur d’une résidence pour personnes âgées, les filles acceptent la décision de l’être aimé, mais à mesure où l’heure fatidique approche, leurs convictions évoluent et se confondent.
Ce « Cœur silencieux » scandinave possède sans doute, un fond luthérien : ce qui saute aux yeux à ceux qui sont imprégnés de culture catholique, c’est l’absence de tout débat de nature transcendante entre les personnages. Personne ne parle de ce qui pourrait se passer après la mort choisie par la mère. « Nous Danois sommes très rationnels » a répondu le réalisateur.
Bille August a présenté sur le grand écran un effet subliminal de la prédestination protestante en ce 21eme siècle. Dit autrement : si la grâce divine ne vient pas couronner les actions sur terre, on évite même de penser à l’au-delà. Ce qui expliquerait pourquoi le débat sur l’euthanasie se décline de façon plus souple et moins dramatique dans des contextes culturels ayant un fond protestant.
La Isla Mínima, Marshland ou Marécages a obtenu pour sa part le prix du jury pour la meilleure interprétation masculine, et le prix pour la meilleure photographie. Javier Gutierrez méritait bien la Coquille d’Argent du meilleur acteur. Son rôle de flic semble tout droit sorti de l’époque franquiste dans une Espagne encore fragile démocratiquement. Les paysages du delta du Guadalquivir au fin fond de l’Andalousie qu’immortalise Alex Catalán ce grand professionnel de la caméra méritaient bien également une telle reconnaissance. Mais le Marécage andalou du réalisateur Alberto Rodriguez est un hommage à la beauté de la nature qui embrasse la baie de Cadiz et démontre que quand les Européens évitent d’imiter les fictions d’Hollywood, le résultat est fort intéressant.
L’histoire se déroule en 1980, une année marquée par une tension politique extrême en Espagne, où les « ultras » du franquisme n’avaient pas encore renoncé à la vieille Espagne « née dans le sang et le feu du 18 juillet 1936 », date fatidique du commencement de la guerre civile. Le film campe deux policiers : l’un est issu de l’ancien régime fasciste et l’autre, une recrue est ancien opposant au régime. La tension politique du pays coule comme un fleuve souterrain dans ce polar dont l’intrigue s’appuie sur des faits réels : des assassinats en série de jeunes filles flirtant dangereusement avec la prostitution afin de sortir de la pauvreté. Les deux collègues sont appelés à travailler ensemble, malgré l’antipathie réciproque, l’antagonisme politique et leurs méthodes opposés dans la « gestion » d’une enquête.
Il est vrai que ces « Marécages » andaloux révèlent une Espagne profonde avec ses ambiguïtés morales liées à son histoire politique et sociale ; c’est pourquoi ce film mérite sans doute davantage que les recompenses qui l’ont distinguées. Parce que ce mélange d’identité et de qualité donnent de la forme et du fond à l’universel.