Le 3e festival du cinéma franco-arabe de Noisy-le-Sec s’est achevé ce dimanche 16 novembre 2014 avec une fréquentation en hausse de plus de 30% par rapport à l’édition précédente. Les 3000 spectateurs du Trianon ont pu apprécier la qualité de la programmation choisie par la directrice de cette salle mythique. L’un des films choisis était justement « l’Oranis » de Lyès Salem qui est sorti en salle le 19 novembre. Après avoir signé deux courts métrages remarqués et une première fiction Mascarades, sur la problématique place des femmes de la société algérienne, le jeune réalisateur franco-algérien s’attaque cette fois à un des mythes de l’Algérie actuelle : le héros moudjahidin. Djaffar est poussé par son ami Hamid, membre du FNL, à prendre le maquis. Il sortira de la clandestinité des années plus tard et sera acclamé en héros dans son village. Mais son bonheur est de courte durée car il découvre que sa femme s’est laissée mourir, honteuse d’avoir été violée par le fils de l’homme que son mari a malencontreusement tué pour sauver son ami. Or ce dernier lui cache d’emblée la vérité. Un conspiration du silence se tisse alors autour de ce héros ordinaire auquel lui-même contribue en faisant croire que Bachir, l’enfant né ce viol , est son propre fils.
Ce film relate l’histoire de ce mensonge. Métaphore de l’histoire algérienne contemporaine, l’Oranais se concentre sur une période particulière : celle qui court de l’indépendance au début des années quatre vingt dix. Vingt années durant lesquels les héros de la Révolution, s’embourgeoisent et se compromettent avec les « amis de l’Algérie » toujours prêts à rendre service, moyennant quelques bakchichs.
Soyons gré au cinéaste de ne pas être tombé dans le piège de la reconstitution historique qui l’aurait condamné à faire un film à thèse. Il a choisi au contraire d’observer l’évolution des relations d’un groupe d’amis et la manière dont chacun se confronte avec son idéal de jeunesse.
Pour ce faire, Salem choisit une structure narrative déjà éprouvée par Ettore Scola dans « Nous nous sommes tant aimées » et par Arthur Penn dans « Georgia » : la chronique générationnelle des amitiés trahies. Ce modèle implique toujours trois hommes et une femme, égérie du groupe. Dans ce cas de figure, le film tourne autour d’elle. Car c’est à qui, la belle donnera finalement son cœur. Ce qui, mutatis mutandis, se traduit ainsi : qui des prétendants aura été fidèle aux idéaux de sa jeunesse. Dans le film de Scola, c’est le brancardier, modeste héros de la Résistance, qui aura le cœur de la belle Luciana, interprétée par Stefania Sandrelli ; chez Penn, c’est Danilo le fils de migrants croates, qui finalement gagnera celui de Georgia, muse ces années hippies.
Dans l’Oranais, l’ennui c’est que la femme qui aurait pu servir de révélateur, brille par son absence au sens propre et figuré. Et qui plus est non seulement, elle est morte mais elle est la femme du seul héros. Cette absence, inscrit dès le début, engage le film dans une spirale assez prévisible de trahison, de culpabilité larvée et pas vraiment assumée et de manipulation. Bref un monde de mecs affairés à défendre leur petits intérêts personnels. Pas de quoi nous faire vibrer.
On peine à croire à cette longue douleur lancinante qui devrait guider le héros trahi vers la recherche de la vérité. Au lieu de cela on voit un héros ordinaire incarné par le cinéaste lui-même qui s’accommode assez bien de la perte de sa femme et des petits arrangements entre amis.
Complice consentant d’une manipulation dont il est l’objet, il reste, l’éternel ahuri, toujours au seuil de cette vérité qu’il ne veut pas voir. Lorsqu’enfin celle-ci éclate, grâce à son « fils », il finit par l’accepter sans se rebeller contre son ami de trente ans, politicien malade, qui l’a berné toutes ces années. Où commence le mensonge pour raison d’État ? Quand le compromis devient-il compromission ? Ce sont ces questions que soulève avec à propos le jeune réalisateur franco-algérien. On aurait aimé toutefois qu’il puisse pousser son interrogation plus loin. Comment ? En s’inspirant jusqu’au bout du modèle de ces aînés, pardi!
A côté des moudjahidin, il y avait également des moudjahidas. Ces militantes de l’indépendance algérienne étaient à leur manière des femmes libres qui ont pris leur part de risques pour la révolution. Mis à part les hommages convenus et sporadiques, elle sont tombées dans l’oubli et renvoyées à leur cuisine. Et pour cause ! Leur évocation bousculerait par trop la représentation orthodoxe d’une société patriarcale. Comme dans le film ! Cet oubli est étonnant pour un cinéaste jusqu’ici si attentif à la condition des femmes. On imagine alors le film qu’il aurait pu réaliser s’il avait osé introduire une femme au centre de ce triumvirat ! Cela aurait pu même être son chef d’œuvre. Si Lyes Salem ici a manqué d’audace sinon de vision, il peut toujours se rattraper. Il est jeune. A quand L’Oranaise ?
Prix d’interprétation Festival du film francophone d’Angoulême 2014. Durée 2 heures 08 , sortie mercredi 19 novembre 2014