Lanceurs d’alerte ou quand la trahison est vertu
Shakespeare nous disait que Brutus a trahi César parce qu’il était le plus vertueux des romains. Le même raisonnement peut s’appliquer à un jeune fils de la classe moyenne américaine et à une fille de Bretagne. Voilà pourquoi « Snowden », le film de Oliver Stone et « La fille de Brest» d’Emmanuelle Bercot, deux œuvres présentés hors compétition à la 64-ième édition du Festival du cinéma international de Saint-Sébastien rappellent deux camarades, certes différents, mais engagés dans la même tranché.
Le premier raconte l’histoire de l’évolution personnelle et morale d’un « patriote » américain avec un talent naturel pour l’informatique ; le second relate l’histoire d’un médecin français qui a découvert une connexion directe entre une série de morts suspectes et un médicament contre l’obésité. Les deux héros des deux films se confrontent à leur façon avec deux Goliath, le complexe sécuritaire américain et l’industrie pharmaceutique française.
Edward Snowden et Irène Frachon agissent avec les moyens de bord, la fuite et l’écriture, qui lui permettent leurs situations respectives. Comme l’anglais Kim Philby avant lui Snowden s’échappe en Russie, comme d’autres en France avant elle, Frachon écrit un livre.
Le « Snowden » d’Oliver Stone se case parfaitement dans le filon des œuvres de ce directeur américain, lui aussi un « converti », après sa jeunesse au combat dans les rizières du Vietnam, à la critique sévère de la politique de son pays et chantre éloquent des narratives alternatives à celles proposés par le « mainstream » médiatique, et souvent dépréciées sous l’étiquette de «théories de conspiration». Au-delà de l’histoire personnelle d’Edward Snowden, ses raisons et ses choix, le film mérite d’être vu parce qu’il ouvre une courageuse fenêtre sur une épée de Damoclès terrifiant de nos jours, à savoir la guerre cybernétique. Celle-ci a été la principale préoccupation qu’Oliver Stone a voulu communiquer en conférence de presse en plaidant pour « des accords internationaux sur la ‘cyber-guerre’, comme il en existait à l’époque, au niveau des armes nucléaires avec l’Union soviétique ». L’élément fondamental qui a marqué le passage d’Oliver Stone à Saint-Sébastien est qu’il a dit à voix haute ce que plusieurs pensent tout bas, à savoir que la Russie joue un rôle nécessaire pour un équilibre dans le monde. « Il faut souligner que seulement les russes ont eu le courage d’accueillir Snowden » dit le réalisateur, en reconnaissant que cette conclusion « a été une leçon d’humilité pour quelqu’un qui a grandi dans les États-Unis de la guerre froide ».
« La fille de Brest » donne un portrait précis de la profession médicale, sans épargner des images sanglantes et dures à voir dans les civières des salles opératoires. Impossible de ne pas remarquer une équipe complètement féminine en conférence de presse (Bercot, Babett Knudsen, Frachon, Benjo et Scotta). En fait « il ne s’agit pas d’une coïncidence » a expliqué Irène Frachon « 80% des victimes du médicament (Mediator) étaient des femmes, niés dans leurs corps parce qu’elles voulaient maigrir et paraître plus belles ».
Par rapport aux représailles qu’elle a subi, Frachon ne mâche pas ses mots en se disant choquée « les labos me laissent tranquille, le corps médical par contre, m’en veut, au point que j’évite d’aller aux congrès médicaux ». Mais le film de Bercot présente également un allié silencieux dans le combat du médecin, la Bretagne et ses habitants celtes et tenaces qui fournissent un arrière-plan idéal pour l’actrice scandinave Sidse Babett Knudsen. Cette interprète d’Irène Frachon sur l’écran fait penser immanquablement à une moderne chevalière de la Table ronde à la recherche du Saint Graal de la justice morale.