Le plafond de verre. On désigne habituellement par cette expression la frontière invisible contre laquelle, un jour ou l’autre, se heurtent les jeunes femmes qui souhaitent gravir les échelons de la société et se rapprocher du pouvoir.
Mais cet obstacle dont la propriété est justement de se dérober au regard –et donc à la perception objective–, avait déjà un précédent chez les immigrants et fils d’immigrants. Comment sortir de sa condition tout en conservant sa singularité ? Comment le faire sans déclancher le rejet de la majorité ? Dans l’un et l’autre cas, le problème est le même. C’est celui de la différence.
Différence sexuelle, raciale, ethno culturelle…, toutes refluent dans le nom. Car le nom nous inscrit dans la continuité et dans la transmission et nous rappelle que nous sommes différents et pareils, c’est-à-dire séparés de l’autre. C’est en cela que réside la vraie puissance du nom qui est symbolique. En changer, le camoufler voire le faire disparaître comme le proposent les partisans du cv anonyme, doit être un choix individuel et non pas le résultat de pressions politiques ou de considérations utilitaristes.
Aujourd’hui, sous couvert de bons sentiments, on invite ceux dont le nom est à coucher dehors à se fondre dans la masse ; devenir invisible comme le mur contre lequel ils se cognent. L’anonymat que doit présider les rapports entre individus dans une république exemplaire doit être repensé. Jadis l’idéal républicain avait pour but de réduire les vieilles appartenances (régionales, religieuses, ethniques) pour permettre l’avènement d’un espace public neutre, débarrassé des vieilles tentations corporatistes. Mais aujourd’hui ce même espace devenu mondialisé par les ramifications du réseau numérique, doit favoriser l’affirmation pleine et entière d’une citoyenneté transculturelle qui ouvre sur les singularités des noms sans renoncer aux valeurs qui l’ont constitué. Mais encore là il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le repli identitaire peut être combattu par une politique de la reconnaissance.
De plus en plus de personnes vivent dans des pays où ils ne sont pas nés. Ce chiffre ira augmentant comme l’atteste les récentes statistiques de l’ONU Il y a plus de 200 millions d’immigrants recensés aujourd’hui soit un pays en soi.
* « Qui es-tu ? demande le rapsode des Phéaciens à Ulysse au terme de sa longue odyssée. » Mon nom est personne » répond le vainqueur de la guerre de Troie, déboussolé, qui a oublié jusqu’à ce fait d’arme dont il avait été l’un des protagonistes. C’est lorsqu’on la lui raconte qu’Ulysse prend conscience qu’il y a continuité entre ce qu’il est devenu et cet homme du passé. C’est alors seulement qu’il pourra se réapproprier pleinement de son nom et retrouver le chemin de sa maison.