Le grand gagnant de la Concha, la coquille d’or pour le meilleur film du Festival de Saint Sébastien a été The Disaster Artist, de l’américain James Franco. Il s’agit de la mise en scène d’une histoire vraie : l’histoire de la réalisation du film « The Room » réalisé il y a peu plus d’une décennie par Tommy Wiseau, un mystérieux et excentrique millionnaire provenant du bayou de la Louisiane qui s’est payé « le pire film de l’histoire du cinéma ». The Disaster Artist est tiré du livre du collaborateur de Wiseau, Greg Sistero auteur d’un livre sur le film The Room. Incroyable, mais vrai, ce film est devenu un espèce de « cult movie » de l’underground hollywoodien, justement parce que il était: « le Citizen Kane des mauvais films ».
Ce qui explique peut être la raison pour laquelle le film a plu tellement a un public si éloigné des chroniques quotidiennes de l’absurde de la Mecque du cinéma, est peut être lié au fait que cet artiste du désastre relayé sur l’écran par James Franco se perçoit facilement aussi comme une parodie de Hollywood. Et comme l’a expliqué le réalisateur « tous ceux qui ont un rêve, peuvent s’identifier avec le combat de Tommy Wiseau en essayant de faire un film». Franco a aussi souligné qu’il a « essayé de comprendre les personnages en tant qu’artistes ». Parier sur une histoire pareille est effectivement un geste courageux de la la part du réalisateur. Reste un détail , et non des moindres, : ce film aussi médiocre soit-il n’aurait pas été possible si Wiseau n’avait pas été si riche.
Que l’argent, nerf de la guerre de toute entreprise artistique ou autre d’envergure , demeure l’angle aveugle est sans doute hélas, un signe de nos temps « virtuels » où les concret est perdu de vue. Dans ce cas, d’où vient l’argent ? Ce qui est au cinéma la « supply line » est en fait la première ligne du front.
Le Prix spécial du Jury est allé à un film basque tourné « Handia », le géant. Réalisé par Aitor Arregi et Jon Garaño, deux enfants du Pays Basque, le film raconte histoire d’un paysan basque affecté de gigantisme et qui mesurait 2,42cm avant de mourir. C’est l’histoire en fait de Miguel Joaquin Elisegi « le géant du village de Altzo » pris dans les aléas des transformations profondes du 19e siècle, les guerre carlistes, l’industrialisation de l’Espagne, etc.
Jon Garaño a expliqué que le géant qui n’arrêtait pas de grandir, était le reflet des transformations rapides, traumatiques et sans arrêt. Le film « ou se mélangent réalité historique et fiction » aux dires des réalisateurs, jette une lumière nouvelle sur une époque, les guerres carlistes, qui ont favorise la dépendance des Basques à la Couronne et signé l’essor libéral. Il est fort improbable que les réalisateurs aient voulu faire un clin d’œil à la crise catalane actuelle. Il n’empêche que le rappel historique de la perte de l’autonomie des « nationalités périphériques » d’Espagne tombe à pic aujourd’hui.
Meilleur réalisateur
La Coquille d’argent du meilleur réalisateur est allé à la réalisatrice argentine Anahi Bernieri pour son film « Alanis », film qui a permis à l’actrice protagoniste Sofia Gala Castiglione de remporter la Coquille d’argent de la meilleure interprétation féminine. Double succès donc pour Alanis, film qui nous immerge dans le monde de la prostitution. « Nous avons voulu que le spectateur puisse s’identifier à la prostituée » a expliqué Berneri « laissant à côté les clichés de la victimisation ». La camera de Bernieri se place à la hauteur de la poitrine « pour montrer le corps humain tel quel, avec ses imperfections ».
Selon la réalisatrice et l’actrice de Alanis, « nulle femme devrait être forcée de se prostituer ; mais les femmes qui choisissent cette voie devraient pouvoir le faire librement sans stigmatisations et bénéficiant de l’aide de l’État ». Effectivement le cinéma reflète la société. Ces mots permettent d’encadrer Alanis dans une société occidentale complètement post-chrétienne. Sans vouloir juger ces propos, nous nous limitons à remarquer que nous sommes très loin d’un certain Saul de Tarse, alias Saint Paul qui soulignait que « le corps humain est le temple de l’esprit saint, et en tant que tel, on ne peut pas le vendre ». Et donc de l’acheter. Si l’on suit le raisonnement ultralibéral de ces deux Argentines, il est impossible de ne pas voir venir la location des ventres pour faire des enfants et la vente d’organes.
Meilleure interprétation masculine
Venons la la Coquille d’argent de la meilleure interprétation masculine. L’acteur roumain Bogdan Dumitrache a bien mérité ce prix pour son splendide rôle de Tudor un père qui sombre dans la folie assassine après la disparition de sa fille.
Le film, réalisé par Constatin Popescu s’appelle « Pororota, » un mot des indiens Tupi du Brésil qui indique une vague incontrôlable qui déferle sur les côtes du bassin d’Amazonie ». Le titre exotique se prête bien à l’histoire d’un homme qui plonge dans le désespoir et la folie destructrice. Croyant avoir identifié (sans preuves) un pédophile dans le parc où il a perdu sa fille, Tudor finit pour commettre l’irréparable. Le film est pratiquement centré sur l’homme, le père traumatisé, un rôle que Dumitrache a interprétée en consultant des psychiatres pendant des mois. Mais le message, comme l’a expliqué le réalisateur Popescu, est aussi profond que douloureux. En fait, l’élan qui pousse la plongée aux enfers est « le silencieux pouvoir de la culpabilité » et rien n’arrête un homme qui « croit avoir toutes les réponses ». A méditer.