Compte-rendu publié le 10 août 2011
À l’occasion de la réédition de l’ouvrage dans une nouvelle maquette, au sein de la prestigieuse collection Nera, je renvoie les lecteurs à ma précédente critique, toujours d’actualité.
Desanti et Rossetti vont en bateauti Antoine Desanti est un petit génie de la sémantique appliquée aux lettres de menace. Il distingue l’identité de celui qui par nature souhaite rester le plus anonyme possible. Cela grâce à une technique mathématique complexe qui convient à merveille à son cerveau méticuleux, véritable caisse enregistreuse de code et de chiffres divers. Installé en Corse, dans une sorte de préretraite active, entre ses animaux favoris, dont la chienne virgule, et le spectacle de la Méditerranée, Antoine s’est enfermé dans un protocole intellectuel. Il vit moins qu’il ne pense la vie, car il a tout fait pour s’éloigner moralement de la menace infinie portée par ces textes clos, ces textes renfermés comme des colis piégés qu’il ne s’agit pas de faire exploser dans leur signification. Le sens des mots est moins important pour Desanti que la forme syntaxique des phrases, ce qui lui permet de ne pas être affecté par les horreurs qu’il examine. Or, son ami, le commissaire Clément Rossetti, vient détoner dans ce paysage de sécurité mentale. Il met à bas la construction antiatomique du paisible Antoine, en introduisant pour la première fois dans le processus de résolution de son ami, une variante humaine qu’il avait soigneusement écartée. En obligeant le sémanticien à participer à une enquête véritable, le policier va lui faire redécouvrir la réalité du mal derrière les mots.
A partir d’un crime sadique trop parfait pour être honnête, le doux quinquagénaire quitte donc son ermitage ou son arche de Noé pour traverser le vaste monde et découvrir aux antipodes que l’homme est semblable à l’homme, dans ses rêves comme dans ses désillusions. Au lieu d’un trésor, il découvrira au retour… Non, ne racontons pas tout, même si tout est dans ce livre. Car à la suite de nombreux grands auteurs, Ugo Pandolfi s’attaque au concept de livre total, appliqué cette fois au polar. On pense au mot d’André Maurois qualifiant le phénoménal Contrepoint d’Aldous Huxley de « roman d’idées ». Tel est en effet l’enjeu de ce Texte clos, donner à penser, présenter à compter d’une série de perspectives historiques, géographiques, politiques, criminologiques, linguistiques, subtilement entrelacées et bardées d’une vision amoureuse (car Desanti est un homme qui aime profondément la vie) une vision complexe et fraternelle de l’humanité.
Toute la force narrative de Pandolfi consistera à porter le lecteur, à travers le labyrinthe érudit (Pandolfi a la passion des acronymes) d’un texte aimable et directement prenant, vers cet enjeu intellectuel, sans l’effrayer aucunement, sans l’abrutir de hautes pensées stériles, sans le déconsidérer nulle part. Pandolfi, à la manière d’un Voltaire, rend proche les plus grands sujets, et il sait distraire sans vulgariser. Le voyage est splendide et le bonheur de lecture assuré. Quand il atteint un tel niveau d’inventivité et de langue, le polar se savoure comme un verre de Sauternes, avec sensiblement les mêmes effets de douce euphorie.
Ugo Pandolfi, Du texte clos à la menace infinie, Editions Albiana, 2011, Ajaccio, 312 p., 12 €
À noter qu’on peut commander en ligne (www.albiana.fr) du même auteur et aux mêmes éditions, La Vendetta de Sherlock Holmes, 2010, 300 p., 14,5 € Il s’agit cette fois d’une aventure un brin mélancolique du célèbre détective, perdu au milieu des mouflons, le tout agrémenté des dessins subtils et inspirés de Jean-Pierre Cagnat.