Festival de cinéma San Sebastian : Yuli, Girl : la danse sous tension


Quel lien y a t-il entre le cubain Carlos Acosta, naguère premier danseur du Royal Ballet de Londres, et un adolescent belge qui veut devenir ballerine ? La reponse : le corps en tant que lieu de l’effort, de la souffrance et du sacrifice. Car c’est le corps façonné par l’esprit et sa volonté de puissance qui relie ces deux films « Yuli« , « Girl » qui défraie l’actualité

Commençons par « Yuli« , nom d’art de Carlos Acosta, grand danseur cubain, qui sans passer à “l’ennemi”, comme certains de ses illustres prédécesseurs, c’est à dire à l’Occident, a néanmoins suscité l’admiration des amateurs de ballet du monde entier.

Réalisé par l’espagnole Iciar Bollainavec la complicité du scénariste britannique Paul Laverty, cette coproduction de anglo-germano-hispano-cubaine, illustre sur le grand écran une « biographie non-conventionnelle » de Yuli, Carlos Acosta. Dans le film, Yuli se prête au jeu en interprétant lui-même quelques pas de danse en tant qu‘actuel directeur d’une compagnie de ballet. Ensuite il présente les moments forts de sa vie par le biais des souvenirs centrés souvent sur la personne de son père, un descendant  d’esclaves enraciné spirituellement dans le souvenir des religions africaines des ancêtres. 

Yuli, c’est l’histoire d’un homme doté d’un talent physique extraordinaire pour la danse, mais qui n’avait pas de vocation particulière pour elle. « Enfant, je voulais être footballer, affirme-t-il, c’est mon père qui m’a forcé à mettre mon talent au service de la danse ».

Il y a quelque chose d’héroïque dans l’expression de ce danseur cubain, non seulement lorsqu’il se rappelle avec nostalgie des années 80 de son enfance, les derniers moments de l’époque soviétique de sa patrie cubaine, et avec fierté du « période spéciale », les années 90, lors que les Cubains ont su résister après l’effondrement de l’Union soviétique. Mais surtout quand il explique « le combat entre corps et esprit » auquel la danse oblige. « Le fait de mettre en danger sa propre santé », pour le plaisir des spectateurs et pour la gloire de l’expression artistique, parce que « le ballet est anti-anatomique et te demande de pousser à l’extérieur, alors que l’anatomie de ton corps veut te tirer à l’intérieur ». Voilà en deux mots, le côté héroïque de l’art, le martyre du corps pour la gloire esthétique.  Yuli a obtenu le prix de la meilleure scénario du festival de Saint-Sébastien. Cette reconnaissance conféré au scénariste britannique, n’est pas sans poser quelques questions sur la vision très anglo-saxonne du passé colonial de Cuba. L’expérience raciale et identitaire présentée par le scénario de Laverty ignore ce que Carlos Acosta lui-même a souligné en conférence de presse : à savoir « l’éclectisme racial qui a légué à Cuba un métissage extraordinaire enraciné dans un puissant esprit communautaire », qui a pu  être a été consolidé par l’expérience politique communiste.

Il y sans doute quelque chose de schizophrénique dans un film où la mise en scène techniquement impeccable, trahit la culture dualiste du scénariste l’expérience collective des peuples du monde est réinterprété à l’aulne d’un prisme unique : ce qu’on pourait appeler “l’anglo-balisation. Ce n’est pas rien.  

Girl, une mutation transhumaine

De  Yuli et Girl… il n’y a qu’un pas… de danse qui nous fait passer du côté sombre de ce combat immémorial : de la lumière aux ténèbres. Et ce, non seulement parce qu’au talent naturel d’un danseur cubain, s’oppose la lutte contre-nature d’un adolescent belge qui veut changer de sexe et devenir ballerine mais aussi parce que cette coproduction belge et néerlandaise, réalisé par Lucas Dhont a obtenu le prix du « meilleur film européen », après avoir récolté quelques lauriers à Cannes. C’est dire à quel point le film et la thématique qu’elle développe, la trans-sexualité,est tendance aujourd’hui parmi les publics d’Europe. Cet intérêt interpelle. Pourquoi ? Parce que au-delà du drame personnel et parfois tragiques que recouvre ces histoires, ce flm marque une étape  dans ce que l’on pourrait désigner comme la marchandisation du corps humain. Le message subliminal est, hélas, clair : on peut désormais choisir son sexe, grâce au progrès technologique et médical, comme on choisit n’importe lequel produit de consommation. Girl, illustre le drame d’ un esprit féminin dans un corps de garçon. Nous sommes loin, très loin des déclarations de ce que la féministe australienne Germaine Greer affirmait il y a quelque décennies : “on n’est pas femme parce qu’on le choisit, mais qu’être femme est « un cadeau de Dieu » (un homme aussi, on présume…).

A l’opposé le film de Dhont le spectateur est incité à poser un regard bienveillant sur un un adolescent qui  haït son corps jusqu’à le mutiler, ciseaux à la main, ce que ses copines (les vraies, les « cadeaux de Dieu » de Greer) appellent  « la troisième patte »… (Cette mutilation sur l’écran, filmé avec on ne peut plus de réalisme a provoqué l’évanouissement d’une spectatrice durant la projection pour la presse accréditée). Que faut-il en conclure ? Prenons le risque du sarcasme: serait cet épisode un signe prophétique, peut être qu’il faut appeler les secours pour empêcher le déferlement de notre culture post-moderne dans un monde trans-humain ?

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