» Danser sa peine » le film lauréat de Valérie Muller
Robert Scarcia
En syntonie avec notre époque, le festival international de la production audiovisuelle des documentaires de cette année à Biarritz, a dédié une attention particulière aux questions des femmes. Le pays-invité était Suède, et l’invité d’honneur, la courageuse Carmen Castillo, réfugiée chilienne en France depuis le coup d’État de Pinochet en 1973 et cinéaste de renom.
Venons d’abord aux documentaires gagnants ayant des femmes comme protagonistes ou comme thématique mais qui n’ont nécessairement pas étés primés.
Le Prix Mitrani est allé à Honeyland, un petit bijou de Macédoine du Nord, réalisé par Ljubomir Stefanov et Tamara Kotevska. Ce film raconte l’histoire de Hatidze, la dernière apicultrice de cette région des Balkans vivant des récoltes de miel sauvage: les conditions de vie sont difficiles-sans eau courante ni électricité- mais en paix avec la nature avec laquelle elle est en parfaite harmonie. L’arrivée de voisins pénibles, avec lesquelles la protagoniste doit s’accorder, marque peut être symboliquement les changements de période dans cette terre des Balkans. Doux et fort, comme le miel sauvage que Haditze récolte, le docu a bien mérité son prix.
Le Grand Prix impact est allé à 21 « Days Inside », de l’Israélienne Zohar Wagner. Il s’agit d’une courageuse enquête sur un fait divers qui a ému l’opinion publique d’Israël en 2015 : la chute , puis la mort dans un puits d’un enfant bédouin du désert du Négue. Le recherche menée par la réalisatrice conduit à exonérer la mère, Rashida, accusée d’infanticide par la police qui l’a interrogée et détenue 21 jours durant.
Le film démontre que la jeune mère bédouine issue de » la caste la plus basse de la société israélienne », affirme la réalisatrice, a avoué un crime dont elle était innocente. Pourquoi ? Parce que l’interrogatoire serré que lui font subir les trois policiers masculins dans une langue arabe qui n’est pas la leur comme la culture dans le deuil et le dénuement de la prison ressemble davantage , les images sont éloquentes, à de l’intimidation ; voire du harcèlement. Pas de « maternalisme » dans cette démonstration et si complicité féminine , il ya c’est dans la volonté de faire éclater la vérité, rien que la vérité. C’est le seul hommage que l’israélienne éduquée de Tel Aviv rend à la femme nomade arabe du désert dont la tradition est encore marquée par la polygamie. Cette rencontre ente deux femmes par une histoire tragique d’injustice soulignent encore une fois de la vitalité de la production documentaire israélienne.
Restons-y en Israël; cela en vaut la peine. « Advocate », réalisé par Rachel Lea Jones et Philippe Bellaiche est le portrait d’une courageuse avocate appelée Lea Tsemel, mieux connue en France pour être la femme du fameux militant pour la paix franco-israélienne Michel Warchawski. Les couples Tsemel-Warchawski sont les premiers Juifs sionistes d’une certaine visibilité médiatique qui s’engagent avec les Arabes pour une paix juste en Palestine. C’est peut-être pour rendre hommage à cette pionnière (alors que d’autres trainaient les pieds), que ce documentaire a bénéficié de l’appui de poids lourds de la production suisse et canadienne.
Tant mieux si cela suppose que Lea Tsamel et n’est plus désormais « l’avocate du diable » qui défend des « terroristes » arabes en Palestine, mais une héroïne des droits civiques et politiques d’une communauté occupée.
Elle n’a pas peur d’aller loin Maître Tsemel quand elle explique avec compréhension ce qui s’appelle là-bas le « cop suicide », suicide de flic : des jeunes Arabes désespérés qui attaquent au couteau un homme armé pour en finir leur vie dans l’honneur plutôt que de se suicider dans la solitude. « Advocate » est également un résumé historique de la vie politique israélienne en privilégiant une perspective peu commune : celle des Juifs sionistes acteurs du vivre-ensemble (togetherness dans le sous-titrage en Anglais) avec leurs voisins arabes. Une vision hélas, insuffisamment partagée mais mais belle, forte et courageuse, la « loser lawyer », l’avocate perdante comme elle-même se définit.
Changeons de contexte, mais restons dans le registre des femmes fortes. « The Feminister « raconte l’histoire de Margot Wallstrom, première femme ministre des affaires étrangères de Suède. Le réalisateur Viktor Nordenskiold suit la ministre pendant les quatre année de son ministère avec comme engagement une politique étrangère « féministe ». Une telle politique s’appuie sur trois piliers : possibilité d’actions (hériter, ouvrir un compte, etc.), représentation (présence à la table des décisions) et ressources (le budget nécessaire). Il s’agit de « Voir les femmes comme des agents pour la construction de la paix, pas seulement comme des victimes » explique Wallstrom, qui affirme aussi que « l’égalité du genre est un atout pour la résolution des conflits ». Reste à savoir si ces bonnes intentions suffisent dans le monde réel où l’égalité se réduit à des quotas et la victimisation donne lieu à des abus.
L’avocate israélienne et la ministre suédoise sont aux pôles opposés si l’on considère que la première est en rupture avec la politique de son gouvernement, alors que la seconde dirige la politique du sien. Mais Lea Tsemel et Margot Wallstrom partagent en commun le fait qu’elles sont entendues.
Il s’agit maintenant de tourner le regard vers des femmes sans voix et sans pouvoir : les travailleuses domestiques des Philippines à l’étranger. « Overseas », de production belge et française est réalisé par Sung-a-Yoon; un documentaire raconte de l’entrainement qui doivent suivre les femmes des Philippines, candidates aux travaux domestiques à l’étranger. Sous la supervision des « vétéranes » qui ont déjà l’expérience du travail à l’étranger, les recrues suivent des cours et se préparent non seulement à gérer les tâches domestiques, mais surtout à faire face à la nostalgie des enfants et la famille, à la dépression, à l’humiliation et aux… abus physiques et sexuels.
Les scènes où les filles se préparent à l’éventualité d’une agression sexuelle de la part de l’employeur laissent le spectateur sans voix. En regardant ce documentaire, on penserait à une version moderne et au féminin de l’école des gladiateurs dans l’ancienne Rome où les esclaves guerriers se préparaient au combat et parfois à la mort. Sauf qu’ici il n’y a pas d’admiration des foules du cirque, mais tout de même il y a quelque chose d’héroïque dans ces femmes dont les remises d’argent constituent la colonne vertébrale de l’économie philippine et qui arrivent malgré tout à se confronter à la vie avec un fonds d’allégresse. A’ voir et à méditer.
Terminons cette chronique avec deux autres prix remportés par des femmes à Biarritz. Le grand prix du documentaire musical est allé à « Once Aurora », documentaire norvégien réalisé par Stian Servoss et Benjamin Langeland. C’est l’histoire d’Aurora, une chanteuse pop issue d’un petit village de Norvège qui a 16 ans abandonne tout pour se dédier à la musique. Le Grand prix documentaire national a été obtenu par « Danser sa peine », production française réalisée par Valérie Muller. Le documentaire rend hommage à un groupe de détenues de la prison de Beaumettes à Marseille qui s’engage à produire un spectacle sous la direction du chorégraphe Angelil Preljocaj. Les corps qui s’expriment en liberté dans un contexte privé de liberté, un fond de thématique qui ne peut pas laisser indifférents.
A’ suivre…