Le film « Edut » a clôturé la 25eme édition du Festival International des Programmes Audiovisuels. Le réalisateur israélien Shlomi Elkabetz présente une série de témoignages d’hommes et de femmes de Palestine lors d’humiliations subies par les militaires de l’Etat hébreu accompagnées des confessions de soldats et officiers israéliens y étant impliqués. En toile de fond de ces paysages magnifiques ou se succèdent collines d’oliviers, champs de blé, déserts aux couleur safran, des jeunes gens témoignent des sévices qu’ils ont subis et la honte qu’ils en ont. Si dans une chronique antérieure, nous avons critiqué un autre film israélien (Cousin d’armes) parce qu’il suggérait que juifs et arabes de la Terre sainte pouvaient se reconnaître comme peuples cousins au sein de l’armée d’Israël, dans « Edut », les deux peuples sont effectivement comme des cousins issus de la même terre, mais dont le conflit humilie les uns et déshumanise les autres. Le grand mérite de « Edut » est de nous y confronter.
Sderot, une localité au sud d’Israël se trouve à la dernière sortie d’autoroute avant Gaza ; en d’autres mots, à deux petits kilomètres d’un zone de guerre. Sderot est aussi l’endroit où se trouve une école de cinéma fondée par deux cinéastes israéliens qui aspirent à utiliser ce moyen pour faire réfléchir les jeunes israéliens sur la politique et la morale. Finalement « Sderot, Last Exit » est aussi le titre du film fait par Oswalde Lewat, réalisatrice de souche camerounaise qui reprend la vie à l’intérieur de l’école de cinéma où se mélangent militants de gauche, juifs nationalistes, bref, un microcosme multiculturel où ne manque pas non plus l’ enseignante palestinienne. A travers le téléobjectif de Lewat, on voit des discussions animées , des débats politiques et des tentatives de se mettre dans la peau de l’autre. Le Palestinien, comme la juive suisse essaie de comprendre comment les Palestiniens perçoivent sa décision de faire l’Alia, le « retour » à la terre promise.
Nous tenons à signaler un épisode très touchant du film puisqu’il permet de percevoir un aspect fort peu traité dans les medias occidentaux à l’égard de la fondation de l’Etat hébreu : l’expérience du collectivisme radical des Kibboutz israéliens qui a pu s’avérer traumatisante auprès de certains enfants. Avner, l’un des cinéastes, s’est souvenu de son enfance avec émotion « le Kibboutz, dit-il, était comme un grand orphelinat avec des gardes,il n’y avait aucun espace privé, et quand j’avais envie de pleurer, je ne le faisais pas parce que je savais qu’il n’y avait personne devant qui je pouvais pleurer.. ». Voilà un autre revers de la médaille du rêve communautariste sioniste.
« Sderot » démontre que la jeunesse israélienne est confronté à une crise qui n’est pas seulement économique mais morale . Aujourd’hui elle peut plus, conscience oblige, l’écarter même si elle n’a pas encore la force de la résoudre. Le constat final de l’un des directeurs de l’école de cinéma de Sderot est cruel : « seulement 15% des films faits par les étudiants de cette école de cinéma abordent ses thématiques, le reste étant du… nombrilisme ». Même au risque de se sentir « comme des Don Quichotte contre les moulins à vent », les deux cinéastes-fondateurs, promettent de continuer le combat dans l’esprit de Deleuze : « le cinéma pénètre le cerveau, on ne peut pas y résister ».
Une transition qui nous permet de faire le lien avec une autre école, une école de théâtre cette fois, « Tarquiz » est un documentaire sur les jeunes Palestiniens qui fréquentent l’école de théâtre de Jérusalem. Si les jeunes de l’école de Sderot exposent leurs problèmes par la parole, ici, les jeunes Palestiniens tentent de l’exprimer avec leurs corps et leurs regards. Est-ce là, la différence entre les vainqueurs et les vaincus ? Possible … En arrière fond la vie urbaine à Jérusalem où ces jeunes passent de petits boulots à la scène ; ils essaient de vivre, voire de survivre dans une ville où la forte immigration des juifs orthodoxes les marginalisent encore plus ; les jeunes terminent leur stage en « happy ending » à Venise, comme il se doit pour une production italienne. tel est « Tarquiz ».
Terminons cette chronique avec « Reut, A Place of her own », documentaire réalisé par Sigal Emanuel, jeune cinéaste de Tel Aviv. L’histoire vraie et tragique d’une fille israélienne sans-abri qui se bat pour reprendre son fils adopté par des colons et le ramener avec elle au village où elle habite avec son mari palestinien. D’une part, la jeune Reut se bat avec l’aide d’un avocat courageux contre un système qui cherche les maillons faibles de la société juive pour leur prendre ce qu’ils ont de plus précieux. De l’autre, la relation amoureuse entre la fille juive et paumée et le jeune palestinien souligne que les plus démunis ne sont pas destinés à se battre entre eux.
Mais ce film révèle peut être quelque chose de plus intime de la société israélienne : Reut est une fille Séfardie, une « juive arabe » comme aiment dire certains, déracinée de sa culture arabe par un état fondé et dirigé par des ashkénazes d’Europe, voulant Israël comme un « bastion » de protection de l’Occident contre le monde arabe. Dans la lutte pour retrouver son fils et dans sa décision de se marier à un palestinien, il y a peut être le symbole d’une volonté viscérale, non encore rationalisée, d’une Juive d’Orient de se réapproprier de sa culture orientale.
Nous ne nous lasserons pas de souligner que « Edut », « Sderot » « Tarquiz » et « Reut », sont chacun à sa manière des pièce de ce puzzle changeant que constitue aujourd’hui la réalité israélienne et qui ne peut nous laisser indifférent.