Le film de Laura Mora Los reyes del mundo, a remporté la Coquille d’Or lors du 70e Festival de San Sebastian. C’est du film une première constatation. Cette co-production qui regroupe cinq pays participants : la colombie, le Luxembourg, la France, le Mexique et la Norvège a permis à une femme réalisatrice de remporter pour la 3e année consécutive le premier prix de la Sélection officielle. Laura Mora succède ainsi à Dea Kulumbegashvili, (Beginning 2020) et Alina Grigore (Crai nou/Blue Moon 2021). C’est aussi pour la première fois en sept décennies que la Coquille d’Or est remportée par un film colombien. Il s’agit du second long métrage de sa réalisatrice, Laura Mora, déjà connue à Saint-Sébastien, ayant gagné en 2017 le prix des nouveaux directeurs avec son œuvre première Matar a Jesus (Tuer Jésus) une tragique réflexion sur la mort de son propre père, avocat assassiné en Colombie, “emporté par la violence”, comme elle l’a voulu rappeler depuis le piédestal du triomphe de cette année en conférence de presse.
Les rois du monde sont des jeunes ados, sans royaume et sans famille, fils de la violence, enfants de la rue de la ville de Medellín qui partent à la recherche d’une terre promise toute particulière : une parcelle de terre appartenant à la grand-mère de l’un des enfants de la rue dans le cœur de la Colombie rurale. En fait, l’histoire s’inspire à une réalité de l’actualité colombienne issue des accords de paix : les efforts du gouvernement colombien de rendre aux paysans les terres envahies par les paramilitaires à l’époque la plus sombre de la guerre civile et la violence. Cette œuvre est “une histoire épique aux tonalités punk, où de jeunes gens cherchent leur propre place au monde”, de l’expliquer par sa réalisatrice. En effet l’histoire décline la thématique ancienne du retour au pays, chères à l’Odyssée et la Bible -avec un esprit rebelle, violent et nihiliste, en y ajoutant une profonde humanité marquée par un désespoir joyeux, si typique des jeunes gens qui ne sont que des victimes. Laura Mora, souhaite que son film aille contribuer à donner de l’espoir à un pays qui contre vents et marées veut croire que les accords de paix puissent tenir. Venant d’une jeune femme qui a dû vivre et survivre l’assassinat de son propre père, ce souhait est on ne peut plus respectable et courageux.
Par ailleurs, le jury officiel a voulu distinguer Genki Kawamura de la Coquille d’argent de la meilleure réalisation pour Hyakka/A Hundred Flowers (Japon), tandis que le Prix du meilleur scénario est allé à Dong Yun Zhou et Wang Chao pour leur travail sur le film de ce dernier, Kong Xiu/Une femme (Chine).
Venons donc à ces deux œuvres arrivées d’Extrême-Orient, qui mettent sur la scène deux femmes, l’une Japonaise, qui est prise dans le tourbillon provoqué par la maladie d’Alzheimer, et l’autre, Chinoise prise par les aléas de l’histoire de son pays de la révolution culturelle maoïste jusqu’aux réformes de Deng Xiaoping.
Le prix de la réalisation démontre que Genki Kawamura, producteur de titres fondamentaux de l’animation japonaise contemporaine n’a donc pas raté son passage au cinéma, en chair et en os, en s’inspirant à l’histoire de sa propre grand-mère qui sombre dans la démence. Mieko Harada, prestigieuse actrice japonaise, ayant jadis tourné avec le légendaire Kurosawa, joue merveilleusement la grand-mère du réalisateur, une femme complexe et de fort caractère qui d’ailleurs avait abandonné la famille s’échappant avec un amant pendant une longue période “sans jamais se repentir”. Il serait banal de souligner que le film touche à vif toute personne ayant connu les effets de l’Alzheimer, “ce voleur de souvenirs” comme l’a décrit Kawamura, sur des personnes proches et aimées.
D’autre part, le film Une femme du réalisateur chinois Wang Chao raconte l’histoire d’une fille d’un cadre des chemins de fer, relégué par les ukases de la révolution culturelle des années 60 en Chine à une simple travailleuse dans une usine dans le fin fond de la province. La femme résiste dans sa vie de mère et d’ouvrière contre plusieurs abus machistes et souffre d’autoritarisme au travail, pour après trouver sa place au soleil de la société chinoise comme écrivaine. En conférence de presse, le réalisateur Wang Chao a admis que le film voulait saluer les réformes de Deng Xiaoping qui ont permis la naissance de la Chine contemporaine. Mais ce personnage féminin arrive au succès personnel comme l’aurait fait une véritable héroïne populaire issue de l’idéal communiste de héros, stoïques et stakhanovistes. Dans ce sens “la femme” de Wang Chao semble bien être le symbole du grand pays asiatique, véritable Empire du milieu qui arrive à gérer succès capitaliste et mythologie maoïste.
L’actrice Carla Quílez et Paul Kircher ont obtenu la Coquille d’Argent ex aequo du meilleur rôle principal pour La Maternal (Espagne), de Pilar Palomero, et » Le lycéen/Winter Boy’ (France), de Christophe Honoré, respectivement, tandis que Renata Lerman a remporté la section » meilleur second rôle » pour El suplente (Argentine-Espagne-Italie-Mexique-France), de Diego Lerman.
Une seconde constatation s’impose : après les femmes, c’est les jeunes qui gagnent à Saint-Sébastien. En fait, ce qui saut aux yeux est le jeune âge des gagnants : 20 ans le français Kircher et encore plus jeune l’Espagnole Quilez.
Venons aux films : La Maternal est un regard courageux et sans complexes dans le monde des jeunes filles-mères. Palomero, la réalisatrice a souligné qu’elle voulait rompre les tabous par rapport aux filles adolescentes tombées enceintes qui veulent devenir mères malgré le jeune âge. Le pari a réussi, le jury ayant primé dans la personne le Carla Quilez, la plus jeune gagnante d’un prix dans les 70 années d’histoire du festival.
Le lycéen de Christophe Honoré est l’histoire d’un ado qui doit se confronter avec la mort de son père en un accident de voiture. Signalons tout de suite que le film Le lycéen aussi met en scène aussi Juliette Binoche dans le rôle de la mère et la veuve, puisqu’elle a gagné cette année du Prix Donostia/San Sebastian à la carrière artistique dont on parlera dans une prochaine chronique.
Le prix spécial du jury est allé à Runner, du nouveau venu Marian Mathias (États-Unis — Allemagne-France), « pour l’ambition de son engagement narratif, pour son originalité et pour l’intensité qui se dégage de ce premier ouvrage ». Runner est un inspiré au genre « road movie » où deux inconnus se rencontrent dans les grands espaces des États-Unis. Cette décision confirme que pour le meilleur et pour le pire le « big sky » country continue à ensorceler les Européens.
L’Argentin Manuel Abramovich, réalisateur de Pornomelancolía (Argentine-France-Brésil-Mexique), a remporté le prix de la meilleure photographie pour son travail sur ce film. Pornomélancolie… le film dont le titre est tout un programme raconte l’histoire de Lalo, un « sex-influencer »… (sic), un acteur porno homosexuel mexicain. Qu’un tel film ait pu gagner un prix pour la meilleure…. photographie interpelle et pour cela on reparlera de ce film de façon plus spécifique dans une prochaine chronique.
Rappelons que le jury officiel qui a décerné ces prix a été présidé par le producteur Matías Mosteirín et complété par Antoinette Boulat, Tea Lindeburg, Rosa Montero, Lemohang Jeremiah Mosese et Hlynur Pálmason.