» Faites l’amour pas la guerre » . Ce célèbre slogan des années soixante demeure plus que jamais d’actualité à l’heure où les canons retentissent à nouveau sur le continent. Mais l’amour, comme chacun sait, n’est pas un long fleuve tranquille. Il possède, lui aussi, un dimension guerrière. Car ce sont deux êtres, deux natures opposées qui mesurent leurs différences. Mais, loin de l’affaiblir ce différend contribue à leur puissance. Puissance, bien sûr toute relative, car elle ne s’appuie pas sur la violence, la domination brutale du plus fort mais bien sur l’échange, la Relation avec un grand « R » comme le préconisait Edouard Glissant. D’où cette déclaration d’amour qui n’est pas une xeme expression de la mièvrerie ambiante mais une affirmation de l’être qui est une mise à l’épreuve.
Le combat amoureux est le thème du septième recueil de Fulvio Caccia qui remporta naguère le prix du Gouverneur général, la plus haute distinction canadienne en ce domaine. Se déployant sur 120 pages et partagé en trois sections, autant d’étapes pour un voyage singulier, ce recueil se propose comme une rhapsodie poétique, c’est-à-dire, à la lettre une traversée des « chants cousus ». La musique en effet y est omniprésente , ne serait-ce que par les titres des poèmes qui renvoient au solfège (allegro,andante…) et indique au lecteur la manière d’entrer dans le poème. Et cette manière-là évoque en contrepoint la langue maternelle du poète : l’italien. Cette présence n’est pas fortuite. Elle rappelle en filigrane la première manifestation de la poésie dans les vernaculaires européens tels que Dante s’en était saisi au XIVe siècle. La personnification de la poésie dans la figure de Béatrice illustre la première métaphorisation, première tentative pour élever la langue populaire au rang de langue écrite. Quelques siècles plus tard, de même, le poète tente ici le même type d’effraction : introduire une autre langue au sein de la langue principale . Et cela se fait au sens propre et figuré avec la complicité du lecteur qui est appelé à jouer le jeu. C’est à dire à sortir de son rôle passif et devenir partie prenante du dialogue amoureux.
Parle !
Pourquoi te lover dans ce silence ?
ce silence de laine dont tu te drapes vestale
inventant d’avance le moment
où je mettrai mes pas dans les tiens
mes mots dans ta bouche
ceux que tu n’as jamais prononcés
Parle !
Je ne suis pas dupe
Je sais tout ce que tu diras
Je ne suis pas dupe
Trois fois je le répète
trois fois je succombe
Trois fois je me trahis !
À quoi bon ?
Va !
Tu as gagné, tu connais mes faiblesses
mes anxiétés à trop vouloir ériger ces paroles
comme des stèles autour du cercle vide
où tu me convies
à trop vouloir te dresser contre la mort
à trop vouloir éviter la déréliction
à trop éprouver le vertige de ton absence
le désir de ton désir
jusqu’à l’épuisement
jusqu’à l’exténuement
Je t’ai perdue !
Va et ne reviens plus !