Festival de cinéma de San Sébastien : Le cinéma à l’épreuve de son acculturation

Comme chacun le sait, l’air du temps se reflète souvent sur grand écran, et le cinéma renvoie les humeurs, les modes et les obsessions de l’époque. Je voudrais partager ici quelques observations sur les plus récents films de trois grands noms du cinéma contemporain présentés à la 72e édition du festival de Saint-Sébastien. Il s’agit de La habitacion al lado ou la chambre à côté de Pedro Almodovar, du Dernier souffle de Costa Gavras, et de Megalopolis de Francis Ford Coppola.

 

Globalisation ; acculturation

D’un point de vue cinématographique, ce sont des films dignes des trois célèbres réalisateurs. L’espagnol et le grec traitent de la mort, et cherchent une fin digne à la vie. Costa Gavras raconte l’histoire d’un écrivain qui, sous la direction d’un médecin, explore le monde des soins palliatifs et se confronte à l’idée d’une « mort digne ». Almodovar explore plutôt la manière dont on peut s’approcher d’une personne mourante avec affection et solidarité. Coppola s’est plutôt approprié la conspiration de Catilina et l’a adaptée au New York d’aujourd’hui.

Je ne parlerai pas des films en eux-mêmes mais plutôt ce qui me semble être un phénomène typique de la mondialisation ou de la « globalisation » de notre époque. La mondialisation en fait dans l’intégration toute puissante du monde produit parfois une acculturation à la culture dominante, sans que celle-ci s’en préoccupe davantage.

Il me semble que dans le cas des derniers films d’Almodovar et de Costa Gavras et de Francis Ford Coppola on assiste à deux types d’assimilation. D’une part l’« anglobalisation » d’Almodovar, et la francisation définitive de Costa Gavras et de l’autre la « new-yorkisation » plus encore que l’américanisation d’une histoire romaine, réalisée par Coppola.

En fait La habitacion de al lado est le premier film tourné en anglais de Pedro Almodovar, avec des actrices fort connues comme Julianne Moore et Tilda Swinton.

Le dommage est que dans ce film en anglais, la touche culturelle, pourrait-on dire, du réalisateur espagnol disparaît et le film aurait pu être réalisé par n’importe quel réalisateur de l’anglosphère. En d’autres mots, le réalisateur entre dans « l’anglobalisation » mais, au même moment, la caractéristique d’Almodovar marquée par ce qu’a été la culture espagnole (non anglo-saxonne) de dernières décennies se perd.

C’est généralement bien lorsqu’un réalisateur, un écrivain ou un artiste s’immerge dans une culture différente. Souvent, un regard avec une distance culturelle différente nous permet de capturer la réalité décrite. Je pense par exemple au désormais « vieux » film Alamo Bay, dans lequel le français Louis Malle parvient comme peu d’autres à capter et comprendre la réalité de l’immigration asiatique au cœur du Texas et le contexte social de l’Amérique profonde. A mon avis, c’est l’une des meilleures représentations de l’Amérique profonde, précisément parce que Malle avait cette distance culturelle, par rapport à l’histoire qu’il racontait dans Alamo Bay.

De même pour Costa Gavras qui a réalisé un film si typiquement français que la perception du maître grec s’est perdue. Ici aussi, nous sommes à des années-lumière de l’époque où avec le film « Betrayed » (traduit en français par La main droite du diable), Costa Gavras dressait un portrait splendide et terrible des milices armées américaines et il y parvenait précisément grâce au regard culturellement distant, d’un non-Américain.

Dans le Mégalopolis de Coppola c’est le revers de la même médaille : il transforme en histoire new-yorkaise une ancienne histoire romaine. Cicéron, Crassus, Catilina réinventés en des personnalités de la vie politique et économique new-yorkaise sont à la limite du ridicule. Alors que, le Cœur de ténèbres de Joseph Conrad transposé dans la jungle du Cambodge en Apocalypse Now, était un grand film, Mégalopolis est excessif à la limite de la caricature. Le maestro italo-américain est convaincu que les États-Unis finiront comme l’ancienne Rome, je crois qu’il se trompe, mais il pourrait avoir raison.

Enfin, soulignons le prix pour l’ensemble de sa carrière que le festival a décerné cette année à Cate Blanchett. En la remerciant pour le prix, l’actrice australienne a prononcé quelques mots qui, à mon avis, méritent d’être soulignés. Blanchett a déclaré que « quand une culture qui n’est pas la vôtre apprécie votre travail, cela prend une profonde signification et j’en suis extrêmement reconnaissant ». Ce qui veut dire que Blanchett est parfaitement consciente de la différence culturelle entre elle, l’Anglo-Australienne et la direction espagnole du festival qui lui a décerné le prix mérité. Aujourd’hui, alors qu’on parle tant de « culture occidentale », au singulier, comme si elle n’en formait qu’une et en contraste subliminal non seulement avec « l’Orient », mais maintenant aussi avec le « Sud global » (comme s’ils étaient eux aussi deux blocs uniques sans nuances), je ne suis pas du tout convaincu que ceux qui ne sont pas de culture « Anglo » soient désormais conscients de leur propre différence. Il me semble au contraire que l’identification à la culture prédominante du monde dit « anglo-saxon » est totale. J’espère me tromper.

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