La 60e édition du Festival international du cinéma de Saint-Sébastien a couronné le film de François Ozon «Dans la maison (voire chronique précédente). La décision du jury présidé cette année par la productrice Christine Vachon a été saluée par des applaudissements partagés autant par le public que par les critiques. « Dans la maison » n’a pas seulement conquit la Coquille d’or, le film a aussi remporté le prix pour le meilleur scénario. Double succès donc pour François Ozon et pour son équipe, un succès auquel le réalisateur français a voulu donner un sens politique en le dédiant au cinéma espagnol menacé d’extinction par les coupures budgétaires dictées par la crise financière. « Je trouve délirant qu’un gouvernement s’acharne contre sa propre culture et ne comprenne pas que le cinéma est aussi une industrie qui génère des emplois » a dit le réalisateur.
Mais la victoire d’Ozon à Saint-Sébastien est également importante pour une raison liée à l’histoire du projet né un beau jour où le cinéaste français fut conquis par une œuvre théâtrale née dans un « barrio » madrilène de la plume d’un dramaturge espagnol (« El chico de la última fila, où le garçon du dernier banc de Juan Mayorga). En d’autres mots l’histoire de la genèse du film nous fait percevoir une Europe qui se parle et s’inspire, qui non seulement se passe la balle de l’inspiration des projets, mais dans le plaidoyer d’Ozon pour la sauvegarde du cinéma espagnol, rend la balle d’une solidarité culturelle européenne que parfois on a du mal à voir dans d’autres contextes.
Le Festival du cinéma de Saint-Sébastien semble confirmer cette espoir puisque la Coquille d’argent du meilleur réalisateur est allé à l’espagnol Fernando Trueba pour son film « El artista y su modelo » (voir chronique précédente). Ayant comme protagoniste Jean Rochefort, comme actrice de soutien Claudia Cardinale et évoquant d’une histoire qui se déroule à la frontière franco-espagnole pendant la guerre, ce prix couronne aussi une situation où les expériences européennes se mélangent et nourrissent dans l’importance de l’art dans un contexte chaotique.
Le prix spécial du jury est allé cette année au film « Blancanieves » ou Blanche neige, une coproduction franco-espagnole réalisé par Pablo Berger. Il s’agit d’un film muet en blanc et noir, qui clairement imite dans la forme l’œuvre française « The Artist ». Ceci dit, il ne serait pas juste de considérer ce film comme une simple tentative espagnole de reproduire un exploit français qu’a valu un oscar à Jean Dujardin puisque l’idée d’une Blanche neige dans le contexte de la tauromachie andalouse des principes du 20e siècle est fort sympathique. Fille d’un torero réduit à la chaise roulante par les cornés reçues et abusée par la méchante belle mère, la belle Blanche neige andalouse est recueillie par des Sept nains gitans qui font les foires populaires des village et entretiennent le monde en se faisant poursuivre par des « vaquillas » les jeunes vaches typiques des fêtes de village espagnols.
Même si il n’y a pas eu de prince charmant pour la belle Macarena García interprète de Blanche neiges puisqu’il n y a pas de « happy ending » dans le film, l’actrice s’est réjouie d’avoir conquis la Coquille d’argent de la meilleure interprétation féminine qu’elle partage avec la Canadienne Katie Coseni, interprète de la fille qui raconte l’histoire de Foxfire (voire chronique précédente).
La Coquille d’argent pour la meilleure interprétation masculine est allé à l’acteur espagnol José Sacristán pour son rôle d’ancien tueur à gages souffrant de cancer de « El muerto y ser feliz » ou Le mort et être heureux, une comédie noire sur les routes d’Argentine du réalisateur Javier Rebollo.
Le prix pour la meilleure photo est allé à Touraj Aslani, l’homme derrière les images de « Rhino Season False Kargadan » film turque réalisé par l’iranien Bahman Ghobadi. Un prix mérité par la force des images qu’il envoie. Un exemple pour toutes : l’image aux contours changeants et flous du tortionnaire vu par le torturé du fond du bassin d’eau où les policiers ont foncé le dissident pour le noyer…
Le film raconte l’histoire tragique d’un poète Iranien d’origine kurde qui essaye de retrouver sa femme qui le croit mort après 30 en prison. Amour, violence, viol, exil, désespoir… ce filma tous les ingrédients pour donner des messages forts, beaux et marqués de poésie au grand public. L’iranien Ghobadi, aujourd’hui exilé en Turquie a expliqué qu’il a fait ce film « pour ne pas mourir »… En d’autres mots, Mr Ghobadi nous rappelle que le cinéma, comme d’autres formes de production culturelle sont des outils pour se battre contre la mort civique, cet espace d’impuissance politique, sociale et culturelle auquel l’autoritarisme des pouvoirs en place souvent veut renvoyer les êtres humains. Terminons cet hommage à cette production turque signé par un iranien avec un coup de chapeau à l’actrice italienne Monica Bellucci qui joue le rôle de la femme du poète. Bellucci a dit que ce rôle a été une chance de « s’approcher à une autre culture », et sans l’ombre de paternalisme occidental (maternalisme serait un terme plus correct en s’agissant de Mme Bellucci) elle a souligné « que venant d’une culture Méditerranéenne et machiste où le combat pour les droits des femmes n’est pas terminé, elle pouvait s’identifier avec le rôle de femme iranienne » qui s’accroche à la mémoire de son aimé poète en tatouant tatouage ses verses sur la peau de gens.
Le jury a donné une mention spéciale à The Attack » ou L’attaque du libanais Ziad Doueri, inspiré par le best seller de Yasmina Khadra publié en France en 2006 et traduit en 40 langues. Le film ce centre sur le dilemme d’un « arabo-israélien » (c’est comme ça qu’on appelle les Palestiniens ayant survécu la « Nakbah » de 1948 et habitant hors Cisjordanie) quand il apprend que sa femme est l’autrice d’un attentat suicide causant la mort de 19 personnes. Le film est sincèrement plein de bonnes intentions. D’autre part, peut être involontairement L’attaque de Doueri nous envoi un message subliminal incontournable : que la mort au combat contre l’oppresseur est préférable à une vie sans dignité pour l’opprimé.
Terminons cette chronique en signalant le passage à Saint-Sébastien de Dustin Hoffman, venu dans la ville basque sous un double chapeau : d’une part en tant que gagnant du dernier des prix à la carrière et de l’autre en tant que réalisateur d’un film pas en compétition, Quartet une histoire qui se déroule dans un centre de chanteurs d’Opéra retraités en Angleterre.
Si le prix à la carrière de l’acteur est servi pour reprendre le fil du passé et d’une longue et riche expérience d’acteur, la présentation du film a été l’occasion pour l’une des plus grandes stars vivantes de proposer une thématique insolite pour Hollywood, celle de la vie qui continue dans le troisième âge.
Vieillesse, musique, amour, on pourrait croire que Quartet fasse une éco à Amour, film de Michael Haneke gagnant à la dernière édition de Cannes et présent aussi à Saint-Sébastien hors compétition officielle. L’œuvre dirigée par Hoffman est une invitation à intégrer les personnes âgés dans la société même s’il se garde de ce regard cru et réaliste sur la maladie et la vieillesse qu’offrent Jean Louis Trintignant et Emanuelle Riva. Reste à voir si, signe des temps d’un Occident vieillissant, le troisième âge servira de thématique de fond où défileront des comédies, des drames, du réalisme et de la fantaisie.
Ce qui est certain est que Dustin Hoffman l’a dit lui-même en recevant le prix pour sa longue et distingué carrière que « à chaque phase de la vie nous sommes des personnes différentes, avec des histoires différentes qu’il vaut bien raconter».