La 61ème édition du Festival International du cinéma de Saint-Sébastien qui vient de se terminer le dernier samedi de septembre a couronné avec la prestigieuse « coquille d’or » le film Pelo Malo (Bad Hair ou cheveux rebelles) de la réalisatrice vénézuélienne Mariana Rondón. « Le Venezuela est un matriarcat marqué par des femmes marchant sur un chemin solitaire pour élever des enfants, des petits enfants et des neveux dans la dureté des banlieues » a expliqué la réalisatrice ravie de la première pour le cinéma vénézuélien que succès de Saint-Sébastien représente.
Le film raconte l’histoire d’un enfant de 9 ans dans un quartier pauvre de Caracas qui voudrait se lisser les cheveux noirs et bouclés pour apparaître comme un chanteur à la mode dans la photo nécessaire pour l’enregistrement à l’école. La mère, veuve du père succombé à la violence des gangs n’apprécie pas et craint que son fils soit homosexuel. Fort intéressant le rôle de la grand-mère paternelle du petit, qui, elle voudrait bien que son petit fils soit gay parce qu’elle sait ou elle espère qu’il sera ainsi moins perméable à la culture de violence machiste qui a fini par tuer son fils, le père du petit. Mais le film de Mariana Rondón est beaucoup plus qu’une transposition sur le grand écran d’une difficile relation entre mère et fils, dans un contexte de pauvreté urbaine et de préjugés sociaux et d’une confrontation entre une mère et sa belle mère où les deux femmes veulent parvenir à sauver le garçon par des moyens antithétiques. Cette histoire intime d’une famille dirigée par une femme à la dérive qui essaye de s’en sortir fonctionne comme une excuse narrative pour se confronter avec la thématique « très politique de l’intolérance ». La caméra de la réalisatrice ouvre la porte sur la vie des gens d’une banlieue où survivent une série de personnages blessés par une précarité économique clairement souligné, et une violence qui s’exprime, fait original ces temps ci, non pas par des coups et des images, mais par des silences et des mots blessants. Tourné pendant l’agonie d’Hugo Chavez, un moment dans l’histoire du pays où la politique semble avoir pris des dimensions de vrai messianisme religieux, le film permet au spectateur de vivre à fond la réalité urbaine de ce grand pays en transformation.
La victoire de Pelo Malo à Saint-Sébastien est une bonne nouvelle parce qu’elle rend hommage à la démocratie participative. Non seulement à une cinématographie qui vit un moment de démocratisation, car « le nombre de gens qui vont au cinéma ne cesse pas d’augmenter » comme l’a dit Rondón « ce qu’implique que le public du pays va être de plus en plus exigeant avec nous les gens du métier », mais aussi sous une antre angle : elle constitue une reconnaissance des différences « il est important que nous parlons des différences, parce c’est dans ce débat là que nous arriverons à partager les différences ». Il est en fait impossible de remarquer, d’une part que c’est en partie grâce aux reformes sociales et économiques d’Hugo Chavez que la participation populaires s’est accrue dans la cité, et d’autre part que le chemin pour une société ouverte et plurielle est long et tortueux comme le chemin de Damas.
Double succès pour La Herida (la blessure), film espagnol du réalisateur Fernando Franco qui a remporté le Prix du jury et la Coquille d’argent pour la meilleure interprétation féminine. Il s’agit de l’histoire d’une jeune femme souffrant d’impulsions d’autodestruction (Borderline Personality Disorder). La blessure de Franco est une fiction tournée avec la rigueur d’un documentaire et le visage de l’actrice Marian Alvarez occupe l’écran une bonne partie du film et se nourrit de l’héritage du « cinéma vérité ». Le réalisateur a expliqué que «faire un documentaire sur cette question lui aurait apporté un problème éthique « suivre quelqu’un souffrant de ce trouble aurait augmenté son état de malaise en se sentant objet de notre intérêt ». En partie tourné à Saint-Sébastien, ce film a interpellé le jury dirigé par le cinéaste Todd Haynes « pour avoir mis en avant la solitude d’une personne souffrant des troubles psychologiques dans un contexte où société et famille n’aident pas parce qu’elles ne savent pas ou ne veulent pas savoir ». En acceptant son prix, Marian Alvarez a voulu rendre hommage aux acteurs espagnols souffrant par une crise économique nationale qui ne les épargne pas.
La Coquille d’argent pour la meilleure interprétation masculine est allée à l’acteur britannique Jim Broadbent, protagoniste de Le Week-End réalisé par Roger Michell dans un style qui peut rappeler Godard et écrit par l’auteur anglo- pakistanais Hanif Kureishi : l’histoire d’une couple de gauchistes anglais qui repartent à Paris pour leur lune de miel, après 30 années de mariage. Objectif déclaré, relancer un peu de vitalité dans leur relation de couple. Le résultat est une comédie divertissante à l’humour très british ponctué de vacheries et de moments touchants qui comme d’habitude rendent uniques dans le meilleur comme dans le pire les enfants d’Albion. « J’ai voulu porter sur l’écran des caractères mûrs d’un certaine âge, qui peuvent mettre de l’avant des sentiments intenses à partir d’une longue expérience de vie de couple et montrer que l’amour n’est pas seulement un affaire des jeunes » a dit le réalisateur. M Kureshi, le scénariste a dit avoir voulu toucher « la question du mariage, fait fondamental dans la civilisation occidentale » où les divorces sont légion.
Sans le vouloir peut être, les réalisateurs nous suggèrent l’idée du mariage aussi comme une métaphore pour parler d’un engagement idéaliste. Tiraillé par le doute, cette fin de semaine anglaise à Paris nous permet en fait de mesurer l’amertume d’une gauche surgi dans les années 60. Malgré tout le couple tient bon, surtout dans les mots et les gestes du protagoniste masculin dont l‘amour et le désir pour sa femme est accompagné par la loyauté de fond aux idéaux de sa jeunesse.
Peut être sans le vouloir le jury de Saint-Sébastien a couronné l’image d’un homme incarnant la loyauté sur tous les fronts.
Prochaines chroniques à suivre