Automn’Halles, le 5e festival littéraire et gourmand de Sète s’est conclu les 27 et 28 septembre dernier. Parrainé par l’écrivain Jean-Noël Schifano, cette édition consacrée à la littérature italienne réunissait une soixantaine d’écrivains parmi lesquels Giorgio Pressburger, Luciana Castellina, Serge Quadruppani, Alberto Toscano, Giancarlo de Cataldo, Gioacchino Criaco, Andrea Genovese, Giuseppe Schillaci, Davide Longo, Claudio Pozzani…. La cuisine italienne était représentée, quant à elle, par deux femmes : Mia Mangolini, auteur d’une Encyclopédie de la gastronomie italienne ( Flammarion) et Laura Zavan qui revisite les recettes cultes de Venise (Marabout).Plus de 2000 personnes sont venus entendre les auteurs du Bel Paese.
Pourquoi l’Italie?
Pourquoi l’Italie à Sète ? Tout simplement parce qu’un bon tiers de sétois sont d’origine italienne, expliquait Tino di Martino, président des Automon’Halles, arrivé dans la ville de Brassaens à 18 ans. Remonter la chaîne de ces appartenances, matinées d’influences siciliennes, napolitaines, tunisiennes ou algériennes…, tel a été le fil conducteur de cette édition très singulière. Première et incontournable escale de ce voyage autour du Mare nostrum chers aux Latins : la Sicile. Le film Apolitic’s Now de Giuseppe Schillaci, projeté vendredi soir, nous a conduit dans les coulisses des élections municipales de Palerme en 2012 qui voit le triomphe du vétéran Leoluca Orlando, sur le jeune favori de l’appareil du Parti Démocratique: son propre neveu ! Ce théâtre de marionnettes de la politique italienne où tout change pour que rien ne change, le cinéaste-romancier, nous le dévoile également dans son dernier roman L’anno delle ceneri où il revisite l’année 1948 à travers le regard des habitants d’un quartier populaire palermitain.
Société du spectacle bien avant que Guy Debord en popularise l’expression en 1967, l’Italie souffre de ce transformisme depuis son unité politique bien mal embouchée et que Jean-Noël Schifano, un brin iconoclaste, s’est employé à déconstruire. Pour ce fils de sicilien, ancien directeur de l’Institut français de Naples, confident d’Elsa Morante (à laquelle il consacre son dernier livre, E.S.ou la divine barbare, Gallimard), l’unité italienne a été une monumentale escroquerie, imposée par un nord exsangue à un sud encore prospère. Résultat : un formidable transfert de biens et de richesses qui appauvrira le Sud de manière rédhibitoire. La question du « mezzogiorno » était née. Ce qui lui fera dire que les chemises rouges passées dans la teinturerie de la maison de Savoie, sont devenues, 50 ans plus tard, les chemises noires de Mussolini !
Transformisme péninsulaire
Cette thèse, à rebrousse poil de l’historiographie officielle, trouve un écho dans l’immense migration italienne. En un siècle plus de trente millions d’Italiens, sont ainsi partis de par le monde. Ce colossal déplacement de population ne va pas sans drame. Dans son livre Morts aux Italiens (édition Toulouse) l’historien Enzo Barnabà revisite les tenants et aboutissants d’un fait divers jusqu’ici passé sous silence – le drame d’Aigues-Mortes en 1893 – où furent lynchés et assassinés dix travailleurs migrants italiens. Encore aujourd’hui aucune plaque commémorative ne rappelle ce drame qui s’est soldé par l’acquittement des coupables et le désir de vengeance qui conduira à l’assassinat du président de la République Sadie Carnot. Pour sa part, la sociologue Anne-Françoise Volponi, du laboratoire d’étude action Passim, a conduit une fascinante enquête pour démêler l’écheveau de cette transhumance complexe rabotant au passage quelques idées reçues. (La principale voulant que les Sétois de souche italienne soient des pêcheurs originaires de Cetara sur la côte amalfitaine lesquels auraient donné d’ailleurs son nom à la ville. En fait, ils étaient en bonne partie Siciliens !)
Pour sa part, Fulvio Caccia, poète (Italie et autres voyages, Bruno Doucey) et directeur de l’ODC, a souligne que toute identité est plurielle et qu’on ne peut la réduire à sa seule dimension nationale. A cet égard il a cité la définition exemplaire que Paul Valéry donne de l’italianité: soit un ensemble d’agencements de caractères, irréductible à la simple idiosyncrasie territoriale. La très grande variété de la production littéraire l’illustre à sa manière. Du polar au roman d’apprentissage, de la poésie au roman historique en passant par le récit de voyage, la littérature révèle au premier chef les méandres de cette histoire « aux marges » -pour reprendre l’expression de Valéry- et l’infinie complexité de sa culture dont les écrivains sont les révélateurs. L’amour toujours recommencé est l’autre fil rouge de ces rencontres. Marguerite Pozzoli, directrice de collection du domaine italien chez Actes Sud, a présenté à cet égard les derniers ouvrages de deux de ses auteurs. Giorgio Pressburger, juif hongrois italien (!) fait du Cantique des cantiques le leitmotiv de son Obscur Royaume. Quant à Emmanuele Trevi, c’est l’amour-haine qu’il revisite dans une éprouvante éducation littéraire – Quelque chose d’écrit – en se confrontant à l’héritage de Pasolini et surtout à sa plus farouche vestale : Laura Betti.
Dès lors, quelle culture, quel pays est vraiment méditerranéen ? C’est la question provocante qu’a posée Serge Quadruppani à ses homologues : la corse Marie-Hélène Ferrari, le marseillais René Frégni, le sicilien Andrea Genovese et le vulcanologue catalan Raymond Matabosch qui a rappelé à ce propos que ces terres séparés par la mer étaient jadis géologiquement réunies. A cette course à l’échalote cependant, c’est la langue de l’hospitalité qu’il convient d’honorer et de retrouver.
Lingua del Cuore
Or la première langue de l’amour, c’est la poésie. C’est justement l’acception qu’en donnait Dante il y a plus de 800 ans qui a élaborée cette langue à partir de la douzaine idiomes pratiquées sur le pourtour méditerranéen. Dans une longue suite lyrique et méditative, Andrea Genovese déclare son amour à la ville de Sète où se déroule chaque été Voix vives, un très important festival de poésie de la méditerranée. Comment dès lors ne pas rendre hommage à son poète le plus illustre -Paul Valéry- celui qui à l’aube de ses vingt ans -l’âge qu’avait Rimbaud-, renonce à la poésie par dépit amoureux. Avec tact, audace et sensibilité, le poète-perfomer génois Claudio Pozzani nous a restitué cette fiévreuse Nuit de Gênes dont le poète sétois fera son baptême de feu dans le droit fil de Mallarmé en refondant une poétique apollinienne qui sied bien à la lumière incomparable de cette ville-baleine ouverte à tous les possibles.