Maurice Nadeau qui vent de disparaître à l’âge canonique de 102 ans nous avait accordé un entretien il y a quelques années. la voici donc. Elle est initialement parue 1er janvier 2007 dans la revue Combats-magazine et antérieurement dans le quotidien Le Devoir de Montréal.
Avec la parution de plus de 600 nouveaux titres, la rentrée littéraire parisienne prend les allures d’un marathon permanent. Comment s’y retrouver dans ce feu d’artifice perpétuel ? Qui sont les auteurs dont on parlera demain ? Dans un monde littéraire désenchanté, agité par des guerres intestines où se dévoilent les ambitions et les cynismes ambiants, Maurice Nadeau fait figure de dernier des Mohicans. Cet ancien compagnon de route du Surréalisme promène toujours sa longue silhouette de dandy désabusé dans un paysage littéraire qu’il a lui-même contribué à façonner.
Tous ceux qui ont comptent sur la scène littéraire de la seconde moitie du XXe siècle ont été de quelque manière en relation avec lui. Il a défendu tour à tour Michaux, Leiris, Queneau, Borges, Samuel Beckett J.-M.G. Le Clézio, republié Sade, imposé Henry Miller, mais aussi David Rousset, Chalamov, Soljenitsyne, Walter Benjamin, Octavio Paz… Comme éditeur, il prend tous les risques et publie les premiers ouvrages d’inconnus qui deviendront célèbres : Roland Barthes, Edgar Morin, Arrabal, Georges Perec, Hector Bianciotti, René de Obaldia, Tahar Ben Jelloun, Michel Houellebecq… De quoi donner le tournis. Rien à priori ne prédisposait cet ex-instituteur, militant trotskyste de la première heure, à devenir un des acteurs majeurs de la scène littéraire française de l’après-guerre. Son destin bascule le jour où Pascal Pia lui ouvre les portes de « Combat », le légendaire quotidien de la résistance. Ses collègues s’appellent Albert Camus, Roger Grenier, Henri Calet… Rien de moins ! Très vite ses critiques font mouche. Comme ses ouvrages qui secouent le lanterneau dont sa célèbre Histoire du surréalisme. En 1966, après moult péripéties, il fonde la Quinzaine littéraire, puis cinq ans plus tard sa propre maison d’édition. Quel est le secret de son flair ? Et de son indépendance ? Deux ouvrages récents lèvent le voile : Maurice Nadeau, une vie en littérature, conversation avec Jacques Sojcher, éditions Complexes et Serviteur ! Un itinéraire critique à travers les livres et auteurs depuis 1945 , chez Albin Michel. Entretien.
Dans l’un de vos ouvrages, Le roman français depuis la fin de la guerre, vous définissez ce genre comme une « expérience, un savoir transmué en vision globale », aujourd’hui peut-on toujours de parler ainsi du roman ?
C’était pour moi l’idéal du roman que j’ai tente de cerner dans cet ouvrage. Le roman est d’abord l’expression d’une intimité. Mais il faut cependant qu’à travers cette intimité, apparaissent des sentiments, des situations, des questionnements qui confrontent les personnages et les obligent à se révéler de la façon la plus personnelle qui soit.
Que pensez de cette tendance qui privilégie justement l’intime, l’ auto-fiction ?
Je ne suis pas très au fait de cette tendance. Ce qui compte au fond, c’est que le lecteur puisse partager, co-écrire l’expérience que lui propose l’ auteur. Il faut qu’il la fasse sienne au point de s’y sentir immergé comme un poisson dans l’eau. L’auteur a le choix. Il peut heurter le lecteur, le provoquer, le séduire. Mais en tout état de cause, il se doit de le faire réagir. Les moyens, les procédés, qu’il utilisera pour ce faire, constituent son écriture. C’est par son biais que se manifeste la singularité de son univers intérieur. S’il réussit à nous le faire partager, c’est gagné. Cela ne veut pas dire pour autant que le lecteur doit rester passif ; bien au contraire. La lecture cela demande un effort ou bien cela aucun intérêt.
L’Histoire a souvent été le creuset, et pour cause, des grands narrations. Dans une époque dépourvue de grands combats, la littérature qui en est issue, n’en ressort-elle pas appauvrie ?
Dans cette situation, le danger est de voir l’événement prendre le pas sur l’individu. Or pour que la violence de l’histoire devienne compréhensible, déchiffrable, il importe qu’elle soit filtrée par une conscience. C’est le travail de l’écrivain. Au lendemain de la guerre, j’ai publié L’univers concentrationnaire, un livre de David Rousset. L’ouvrage n’a rien d’un roman mais les procédés romanesques y sont magistralement mis en oeuvre. Son but était de décrire un monde qui a sa propre loi, ses propres finalités. Mais voici que son témoignage déborde et plonge d’un coup le lecteur dans une réalité fantastique et sordide proche de l’univers d’un Kafka.
Aujourd’hui alors que ces événements, du moins en occident se sont estompés que reste t-il ?
Il reste le corps, le sexe, à en croire les préoccupations de certains auteurs contemporains. Remarquez avant on évoquait l’âme ou Dieu. Mais par delà, les sentiments que la conscience du corps induit, peut mériter le détour s’ils traduisent un regard, une sensibilité singulière. Vous qu’en pensez-vous ?
J’observe. Je ne suis pas partie prenante. J’examine dans la mesure où il m’ arrive d’écrire sur ce type de roman. La plupart du temps, cela me laisser froid. Le défi est toujours de trouver le point de contact. Avec le sexe c’ est relativement facile mais ensuite on tombe dans les clichés. Heureusement il n’y a pas que cela. Il y a beaucoup de variétés dans le roman de nos jours. Chacun cherche de son côté.
On entend souvent de dire aujourd’hui que la direction littéraire brille par son absence dans la maison d’édition, votre sentiment ?
Je ne peux pas répondre à la place des autres. Moi, quand j’ouvre un manuscrit, je me demande : est-ce qu’il y a quelqu’un derrière ? Est-ce qu’il imite ? Est-ce qu’il y a une écriture ? Tout est là. S’il y en a pas c’ est peut-être très bien, mais cela ne m’intéresse pas. Il n’y pas de critères d’appréciation.
…Mais il y a des modes.
Sans aucun doute. Elles finissent par passer comme celle qui concerne la surenchère sexuelle bien différente, soit dit en passant, de la tonique provocation d’un Miller que je publiais durant les années 50
Voyez-vous des tendances nouvelles se dessiner.
Là où il y a du nouveau c’est toujours dans l’ordre de l’intime. Mais il est difficile à apprécier. Car sa perception dépend de chacun. La valeur d’une oeuvre réside dans l’écriture, la qualité de ce qui est dit et comment c’est dit. Car la question, au fond, se résume à ceci : pourquoi lit-on ? Si on le fait, c’est bien pour chercher quelque chose. L’écrivain fait de même et c’est là où la rencontre est possible.