D’Argentine à la Norvège, malgré les milliers de kilomètres, les distances se raccourcissent sur le grand écran surtout lorsqu’il s’agit de rendre hommage aux actrices et acteurs qui incarnent les drames et comédies de nos sociétés. Commençons par « Rojo », un film argentin qui a obtenu la Coquille d’argent pour la meilleure interprétation masculine discerné à Dario Grandinetti.
Réalisé par Benjamin Naishtat, jeune talent argentin, ce long métrage propose un regard sans concession sur la société argentine pendant la dictature militaire des années 70. Pas de soldats dans Rojo, une société sous influence durant ces années de plomb et de répression où règne une « double morale » : les personnages du film savent et sentent ce tournant de répression mais ferment les yeux. En d’autres mots, Rojo est une interprétation argentine de ce qu’Hannah Arendt appelait « la banalité du mal » ou plus précisément de son corollaire : la peur de savoir, la lâcheté de la conscience. « Rojo parle d’un moment spécial dans lequel se prépare une tragédie », confirme Grandinetti, au moment de recevoir le prix. On peut y lire en filigrane une récupération de la mémoire historique qui fait echo à ce que ce pourrait nous arriver aujourd’hui, au moment où le fascisme est de retour ». Des mots forts, sans doute, qui soulignent l’importance politique du cinéma; cependant l’acteur primé s’est bien gardé de nommer ces fascistes : les Banderistes ukrainiens en train de détruire les monuments dédiés à l’Armée Rouge, les islamo-fascistes de Daesh ? Les « populismes » d’Europe et des Etats-Unis qui effraient tellement les pouvoirs constitués ? Question légitime à laquelle le lauréat n’a pas voulu donner de réponse claire. Comme quoi, il faut faire attention à ne pas se tromper d’ennemi.
La norvégienne Pia Tjelta, protagoniste de « Blind Spot » a remporté le prix de la meilleure interprétation féminine. Le film raconte les difficultés d’une mère avec sa fille en pleine crise d’adolescence; à cela s’ajoute une tragédie qui frappe toute la famille. La belle interprétation de Tjelta est réussi a tisser le lien entre un contexte, plutôt banal, l’adolescence d’une fille, et un événement tragique non attendu. L’actrice a voulu rendre hommage à sa collègue scandinave, la réalisatrice suédoise Tuva Novatny, « celle qui n’a pas seulement une vision, mais surtout une mission ».
Terminons cette chronique avec un prix, moins important peut être, mais qui nous interpelle parce qu’il s’agit d’un « film d’animation pour adultes ». Il s’agit de Another Day of Life, un autre jour de vie, du réalisateur espagnol Raul De la Fuente, qui a obtenu le prix de la Ville de Saint-Sébastien. Une co-production hispano-belgo-germano-poonaise. En mélangeant le documentaire avec l’animation, le film reconstitue, le portrait du journaliste et écrivain polonais Ryszard Kapuscinski « idéaliste et don Quichotte des causes perdues ». De la Fuente a salué le fait qu’un film d’animation a pu obtenir la sympathie d’un public d’adultes… Indépendamment des habilités techniques de l’œuvre ou de son fond enraciné dans la mentalité de la guerre froide, il reste à savoir si ce soudain « appeal » de l’animation auprès d’adultes, ne révèle plutôt quelque chose de plus troublant dans nos temps troubles, l’infantilisation des adultes d’Europe… Là aussi, question légitime mais réponse floue.