Le prix du public de cette 25e Festival, à avoir le film élu par les spectateurs, est allé à « El Amparo » qui se traduit par L’abri. Mais dans cette coproduction entre Vénézuela et Colombie, signé par Rober Calzadilla se réfère à un lieu spécifique sur les territoire frontalier entre les deux pays qui avait été marqué par un atroce ‘erreur’ de la part de l’armée de Caracas : le massacre de 14 pêcheurs vénézueliens, qui avaient été confondus par des guérilleros colombiens. Cette bavure tragique qui avait fait scandale à l’époque, nous sommes en 1988 bien avant l’arrivé au pouvoir d’Hugo Chavez, est bien rendue dans ce film. Deux hommes survivent au massacre et sous la pression politique et sociale s’auto-accusent d’avoir été des insurgés pour blanchir l’armée.
Le film met en évidence la solidarité du village de frontière dans le bras de fer avec les autorités militaires, et d’autre part, souligne peut être sans se rendre compte, un fait qui risque de passer inaperçu aux yeux d’un public ignorant de la réalité du terrain : le caractère artificiel des frontières de plusieurs pays d’Amérique latine qui se répercuté tant au niveau culturel que social. En fait, dans ce cas précis, le long de la frontière du fleuve Arauca, affluent de l’Orinoco, les populations sont les mêmes et le fait d’être citoyen d’un gouvernement siégeant à Caracas ou à Bogotá dépend uniquement d’être né d’un côté ou de l’autre du fleuve. Il est clair que cette observation ne veut pas justifier l’erreur mortelle de l’armée vénézuélienne en 1988, mais entend signaler que cette guerre civile, longue d’un demi-siècle, devrait être considéré comme un conflit régional et non simplement d’ordre national.
Le court-métrage « El Edén » du colombien Andrés Ramirez Pulido a remporté la compétition dans cette catégorie. Il s’agit d’une courte histoire d’une incursion de la part de deux jeunes dans une station thermale abandonnée qui se transforme en assassinat du gardien. Le choix du nom de la station n’est peut être pas anodin et démontre comment un éden comme la Colombie est imprégnée de violence.
Le premier prix, (abrazo ou accolade), du meilleur documentaire a récompensé un petit bijou colombien dirigé par un l’uruguayen, Emiliano Mazza De Luca. « Nueva Venecia », De Luca raconte l’histoire vraie d’une communauté de pêcheurs qui reviennent dans leur village natal (son nom, Nouvelle Venise, origine du fait qu’il est construit sur des pilotis d’une lagune sur la côte caribéenne) après avoir été chassés par des escadrons de la mort paramilitaires. A leu retour, ils décident de construire un terrain de football sur des pilotis. L’histoire est vraie mais aussi hautement symbolique ; elle exemplifie l’espoir de vouloir tourner la page dans la foulée des négociations de paix ; «Le terrain de foot construit sur l’eau » est clairement un aphorisme pour une nouvelle Colombie en paix.
Un film qui prend d’autant plus valeur de symbole à l’heure où nous savons que par choix référendaire les accords de paix ont été refusé. Sachant bien que rétrospectivement tout paraît évident, nous voulons quand même souligner que dans la réalité Nueva Venecia est effectivement un reflet en microcosme du grand pays dont ce village fait partie. Si d’une part tout les efforts sont faits pour changer de cap et tourner la page sur la guerre, de l’autre la réalité indique que le chemin de la paix est hélas plus long et tortueux dans la réalité du terrain. En fait, les habitants de Nouvelle Venise continuent à avoir des problèmes parce que les latifundiaires locaux ont coupé avec des barrages trois des quatre rivières qui alimentent la lagune en question, mettant en danger l’équilibre écologique de salinité des eaux nécessaire pour la reproduction des espèces de poissons qui constituent la base économique des pêcheurs.
Terminons cette chronique par un coup de chapeau à un documentaire brésilien signé de Eryk Rocha encore tout auréolé du succès à Cannes. « Cinema Novo » est un documentaire qui explore poétiquement le cinéma brésilien des grands maîtres tels, entre autres, Pereira Dos Santos, Glauber Rocha, Hirszman, de Andrade, Guerra, Lima et Saraceni. Eryk Rocha a voulu engager « un dialogue entre générations » pour établir un langage filmique nouveau permettant aux Brésiliens de se confronter avec le nouveau moment historique. Les mots d’Eryk Rocha interpellent dans ce moment précis de l’histoire de son pays où un coup-d’état politique a mis fin à une saison politique progressiste. Si « Cinema Novo » est effectivement « une archéologie de la mémoire permettant d’engager une construction future ». L’œuvre de Eryk Rocha ne doit pas être perçu comme une hommage nostalgique à une entière génération de cinéastes, mais un programme de combat culturel.