« Filles de l’Est, femmes de l’Ouest ». C’est le titre que l’Observatoire de la diversité a donné à sa dernière rencontre qui a eu lieu le 21 janvier au Centre culturel Jean-Cocteau des Lilas. En plus de la projection de l’excellent documentaire «Nadia Comaneci, la gymnaste et le dictateur» de Pola Rapaport, sont intervenues Cécile Folschweiller, co-directrice du département Europe,INALCO et co-autrice du livre « Enfances communistes, mémoire des Roumanie et de la République moldave »,( éditions Petra) et Lenka Hornakova-Civade, écrivaine, contributrice de du live éponyme » Filles d l’Est, femmes de l’Ouest » dirigée par Elisabeth Lesne (éditions Intervalles). Cet ouvrage entendait corriger un malentendu très fréquent en Occident : à savoir l’inexorable malheur des Européens de l’est privés de liberté et sujets à toutes les privations et à toutes lés pénuries. Sans nier la part sombre racontés par les dissidents des années 50, 60 et 70, il y aussi une autre histoire à raconter : « celle de l’égalité salariale et d’accès à l’emploi, celle de l’accès à l’avortement plusieurs décennies avant beaucoup de pays de l’Ouest, celle des mythologies communistes construites sur des figures de occidentaux combattantes, scientifiques, sportives, etc ». L’autre surprise de ce livre grave et empreint de légereté c’est de découvrir que toutes écrivent en français. Une bonne nouvelle pour la francophonie et sa capacité d’attirer les paroles d’ailleurs. Car l’enjeu est là : croiser les narrations pour désamorcer les incompréhensions, les ignorances qui nourrissent les ressentiments et les guerres. L’ouvrage se structure autour des trois événements majeurs : la chute du mur dont on célébrait les trente ans, la crise du Covid et l’invasion de l’Ukraine. Des allers-retours ajoutent un nouvel éclairage au parcours des unes et des autres et montrent à quel point l’histoire de l’Europe centrale est tissée par les différences ethniques et les langues. C’est ce qui lui donne tout son intérêt. Toutefois il y a un contre-exemple plus récent et tout aussi signifiant qu’il conviendrait également interroger : « les chercheuse d’or ». C’est ainsi qu’on appelle en République tchèque les filles qui s’ expatrient pour l’appât du gain. Le stéréotype en est la top model. La réputation de beauté des femmes d’Europe de l’est un puissant aimant pour le monde de la mode mais aussi pour le monde interlope. Obnubilées par la réussite occidentale et l’argent facile et le bon parti à épouser, nombreuses ont été les filles de l’Est à vouloir tenter leur chance et devenir, elles aussi, des femmes de l’Ouest. La crise économique qui a suivi la chute du mur les a encouragées. Pour le meilleur – une carrière de mannequin – le mariage avec un bon parti qu’illustre Melania Trump… ou pour le pire – la prostitution qui a réactivé durant les années 90 le fameux mythe de la traite des blanches : exemple et contre exemple.
Motivée par la même logique Cécile Folschweiller a explique la méthodologie qui l’a conduit avec l’historienne Anna Durandin à établir cette série d’entretiens. Dans ce livre, des témoins de milieux sociaux et géographiques variés évoquent les relations familiales, la vie quotidienne, l’école, les peines et les joies de l’époque, leur perception du régime et monde extérieur. Les plus anciens conservent encore des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, les plus jeunes ont vécu, enfants, les événements de décembre 1989, en Roumanie. Entre ces deux moments, c’est dans l’intimité et la subjectivité de souvenirs singuliers que s’exprime aussi la réalité du communisme moldave et roumain.
Ces deux démarches parallèles ont le même objectif : recueillir la mémoire de cette époque pour la transmettre avec ses contradictions mais aussi ses moment de bonheur. La aussi aussi le découpage chronologique est important pour la mise en contexte. Il y a la génération née avant 1945 et qui donc n’a pas connu le communisme ; celle intermédiaire née entre 1950 et 65 l’a vu naître et s’épanouir ; enfin celles des années 1980 a été témoin de sa chute. Trois moments qui permettent de vérifier l’évolution de cette idéologie par le biais de la subjectivité de ceux qui l’ont connus. Les femmes de l’Est ont beaucoup de choses à nous dire.