Crises économiques, écologiques… aujourd’hui personne n’a besoin d’un dessin pour savoir que le monde va mal. Ceci dit, il nous paraît nécessaire d’analyser une série de reportages et documentaires présentées lors du dernier Festival International des Programmes Audiovisuels qui vient de se terminer il y a peu.
Cette chronique commente trois films européens qui en remettent une couche sur ce thème . Le premier s’appelle « Krisis », le bien nommé ; c’est l’œuvre des grecs Nina Maria Paschalidou et Nikos Katsaounis ; ils nous font revisiter les coulisses de la crise grecque à travers des images tournées lors des révoltes de rue. Ils donnent la parole à ceux qui ne l’ont pas – aux gens, aux militants d’associations– mais aussi également à ces politiques responsables en partie du désastre hellénique. Les réalisateurs nous font voir la crise par les visages et les témoignages des petites gens : ceux qu’on ne voit pas. Certes, le documentaire n’apporte pas de solutions, tant s’en faut, mais il montre comment la crise oblige les Grecs à se remettre en question. C’est de la sorte que « Krisis » apporte un souffle d’espoir ; C’est toute la valeur du film.
Le travail à l’épreuve du management ultralibéral
« La gueule de l’emploi » du français Didier Cros, nous présente un aspect de notre monde postmoderne auquel chacun à du se frotter : la recherche d’emploi à l’épreuve des nouvelles techniques de management . La caméra de Cros suit dix cadres commerciaux convoqués à une session de recrutement collectif par un cabinet d’embauche. Le film dénonce cette dégringolade sociale de moins et moins capable de faire la distinction entre dynamisme et exploitation, entre flexibilité et soumission. Les demandeurs d’emploi sont soumis à une sorte de terrorisme psychologique par des recruteurs qui sans l’air d’y toucher se révèlent des petits chefaillons manipulateurs et pervers. Cette « banalité du mal » dont la grande Annah Arendt analysait la funeste mécanique chez les nazis, répand aujourd’hui son cruel venin dans toutes les sphères du travail. Sous prétexte de rendre les employés plus efficaces, ces techniques de mangement, pur produit du monde ultralibéral qui se faisait fait naguère une gloire de terrasser les totalitarismes, sont en train d’avilir le travail et les hommes. Et introduisent de la sorte les virus d’un autre totalitarisme plus pernicieux, plus hypocrite car il s’insinue en chacun de nous pour rendre esclave d’un productivisme stérile et fascisant.
Heureusement la perversion des recruteurs provoque chez les demandeurs d’emploi des effets comiques, peut être le spectateur devrait également oser s’approprier d’une certaine « praxis ironique » de la critique du pouvoir comme le proposaient certains jeunes rebelles de l’Italie des années 70 . Plus facile a dire qu’à faire sachant qu’on traite de la vraie vie des vrais gens ; mais l’alternative est de pleurer de l’état où notre civilisation en est arrivée.
Nous sommes tentés de définir « La gueule de l’emploi » une œuvre de néoréalisme postmoderne. Deux mots qui ne font pas partie de la critique cinématographique quotidienne, mais qui, ’à notre avis, rendent bien l’idée et la force d’un film nécessaire aujourd’hui.
La guerre du golf aura bien lieu
« La guerre du golf », de l’espagnole Lucia Sanchez, n’est pas seulement un jeu de mots entre le sport et le Golfe Persique, théâtre de conflits stratégique s’il en est . L’œuvre présente un autre angle de la crise qui a frappé l’Espagne ces dernières années par le biais d’un regard sur la région de Murcie, l’une des plus sèches d’Espagne devenue l’un des terrains de golf les plus prisés d’Europe. L’image d’une balle de golfe perdue dans le panier de figues de ces agriculteurs qui se battent pour préserver leurs anciennes exploitations et leur accès à l’eau utilisée pour arroser des terrains de golf, souligne mieux que mille mots la folie suicidaire et les décalage écologique de nos sociétés qui fonctionne en vase clos ; incapable désormais de faire des liens et de respecter l’équilibre. Ce modèle de développement qui s’est fait, il faut le rappeler, avec la connivence des pouvoirs locaux , fort de l’ancienne loi franquiste permettant l’expropriation forcée des terres en raison « d’utilité publique ». L’utilité publique dans ce cas n’est nulle autre que la force d’attraction d’Anglais à la retraite et à la recherche du soleil du sud pour pratiquer le sport, selon la légende inventée par des bergers écossais.
« La guerre du golf » met aussi en évidence au milieu de la crise économique, l’émergence d’une autre Europe à deux vitesses sur le Vieux continent, celle d’une classe d’étrangers déconnectés de la réalité locale et les populations autochtones déracinés de leurs activités traditionnelles ou simples employés au service de la machine du business du golf. En d’autres mots, il est impossible de ne pas voir dans « La guerre du golf » le profil d’une situation auparavant inédite en Europe : l’apparition de nouveaux colons et de nouveaux indigènes, des retraités ou personnes fortunés d’Europe du nord en terrain conquis d’une part, et de l’autre des indigènes d’Europe du sud survivant comme ils le peuvent. Nul ne doit se surprendre que le projet européen bat de l’aile : nous sommes à des années lumière du rêve de Robert Schuman