Aujourd’hui l’Italie est à un tournant. Ces quelques feuillets détachés du carnet de voyage d’un journaliste ami, membre de notre association, en témoignent à leur façon. ambiance.
Samedi 23 février
Il pleut à Rome. Piove a Roma.
Cette pluie tombe la veille de changements importants. Pleut il comme l’Italie pleure ?
Difficile de se dire superstitieux ou d’y voir une symbolique forte. Mais tout de même, nous sommes en Italie et à Roma !
Cette ville a été tracée selon la légende suite à un vol d’oiseaux qui aurait indiqué le tracé à Rémus et Romulus. Le jour où le pape a annoncé son retrait, la foudre s’est abattue sur le Vatican. Il y a quelques jours un tremblement de terre a secoué les environs de Rome.
Oui le catholicisme pleure. Son pape se retire, comme cela ne s’est pas produit depuis six siècles.
Il se retire, il est fatigué. Mais probablement fatigué des scandales, des affaires au sein de son Etat, parmi ses proches.
Comment le pape peut il continuer à dénoncer les dérives de la société contemporaines : l’argent fou et le relâchement des moeurs dans la société si au sein même du Vatican, ils ne sont eux mêmes pas un « modèle de vertu ».
La veillée est triste, car quel salut le catholicisme pourra trouver dans ce contexte, un miracle ?
Mais ce miracle passera par un vote terrestre des cardinaux dans quelques jours, fussent ils inspirés par l’esprit saint.
En politique, quel miracle pourrait faire sortir l’Italie de la crise économique ?
En tout cas, la situation est en effet à pleurer tant les Italiens s’accrochent aux hommes miraculeux.
L’atypique et populiste Grillo bouscule l’échiquier politique. Berlusconi est il en train de ressusciter pour ressusciter l’Italie ? Mais comment les Italiens peuvent ils lui accorder du crédit, même moral ? Il n’a jamais demandé pardon de ses « pêchés », comment donc lui pardonner ?
A pleurer aussi les discours et promesses anti mafia menées depuis plus de 20 ans par les politiques italiens, sans changements apparents.
Que ce soit sur le pouvoir papal ou le pouvoir italien, les Italiens ne peuvent attendre que des sauveurs tant les secrets, l’arrière fond, le cacher, est en contradiction avec l’apparence et les discours savamment entretenus.
Dimanche 24 février
Le café est étroit. Evidemment debout. J’aperçois un croissant bien sec. Je commande donc ce croissant car je n’ai pas trop le choix et un espresso. Le cafetier scrupuleux mais peu souriant semble porté tout le poids du quartier sur les épaules. Est ce l’ambiance de la prison proche ?
Un couple de retraités assez petits, mais énergiques semble pressé. Je me trompe de sous tasse, le monsieur me la récupère brusquement sans un mot. Il a eu peur que j’y pose ma tasse.
Il demande combien coûte le café, il proteste à sa femme, en espagnol, que le café d’un euro est cher. Ils s’en vont pressés.
A la radio, viennent les informations, les élections évidemment sont évoquées et le dernier angélus du pape, mais je n’entends pas bien l’heure, car le cafetier fait marcher la machine pour les cafés. Je réalise alors que les Espagnols du bar se sont précipités au Vatican, concentrés sur l’événement plus que sur les humains qu’ils venaient de croiser dans l’heure précédent le temps sacré.
En sortant, je questionne deux religieux en soutane, un jeune et l’autre dans la quarantaine, pensant que ceux là doivent nécessairement connaître l’horaire de l’Angélus. Je les questionne en Italien, ils sont Français.
Ils me répondent que la messe est finie, mais vient l’angelus à midi, mais qu’il y aura beaucoup de monde, c’est pour cela qu’ils se pressent. Ils semblent très absorbés. J’aperçois un semblant de drapeau breton plié dans la main du jeune. Curieux ce sentiment régionaliste pour une religion universelle non ?
La foule qui est passée en direction du Vatican est le socle des laïcs conservateurs et des religieux. Nous sommes loin à Rome d’une adhésion et d’un regret populaire du pape qui va quitter sa fonction.
***
Je repense à la conversation avec Rosario hier soir au restaurant à San Lorenzo.
L’Italie est capable de création de civilisation en même temps, capable de se trouver au plus bas.
La désespérance des citoyens tient évidemment à que les Italiens ont l’impression d’être au plus bas, dépendant de Bruxelles, voire de Merkel et non à l’initiative, créateurs, innovants, ouverts au monde, comme ils ont su l’être, avec la civilisation romaine ou la renaissance.
Peuple d’enthousiasme et de dépression, peuple profondément bipolaire ?
Si une des clés de compréhension pouvait être dans le rapport aux secrets, aux désirs cachés, aux sentiments cachés.
L’Italie crée quand elle s’ouvre au monde, assume sa curiosité, sa sensualité, son passé varié qui dépasse de loin cette République controversée et instable.
La culture du secret est une saveur exquise pour les pouvoirs politiques, religieux et mafieux.
Elle masque les décisions, les rouages dans des décisions, des accords secrets. Le film « il divo » qui met en scène Andreotti en est une merveille.
Des éclaircies, des ouvertures parfois se font jour sur des individus qui se posent en modèle de transparence, de vertu. Pour cette élection, ce sont par exemple le populiste Grillo ou le candidat du PD en Lombardie qui dénonce l’emprise de la mafia.
L’attaque politique des juges ou de Grillo est partiale car elle ne peut bousculer que le champ politique.
C’est la culture en Italie et la société qui doit bouger pour assumer ses forces et quitter le champ des secrets familiaux, claniques et institutionnels.
Lundi 25 février.
Les résultats des élections législatives tomberont ce soir.
Je rencontre, dans un café Piazza del Popolo, un candidat de Vendola, Andrea est le plus jeune de la liste des députés pour l’Europe, il a 28 ans, il a fait la tournée de l’Europe, Paris, Berlin, Bruxelles, Londres où il vit.
Les jeunes pourraient voter Vendola, leader de la gauche italienne, et sa liste, mais ils ne sont en majorité pas inscrits, donc ils ne vont pas voter. Andrea dit que le système est complexe pour s’inscrire sur les listes.
Il a fait campagne contre la politique de l’austérité qui ne mène qu’à la récession. Il raconte que ses compatriotes italiens de Berlin ont du mal à discuter avec les Allemands y compris du SPD car ils reprochent à l’Europe du sud de ne pas travailler et de dépenser l’argent.
Il explique avec dextérité et finesse les enjeux des résultats de ce soir. Sa crainte aussi que Bersani ne soit obligé de passer un accord avec Monti si la droite fait un bon résultat au Sénat.
Andrea considère qu’il a peu de chances d’être élu car un Italien de son parti qui réside en Suisse est très puissant en terme de réseaux. Quoi qu’il arrive Andrea souhaite poursuivre la structuration de son parti en Europe dans les années qui viennent. Et je lui demande, tu serais candidat aux élections européennes de 2014? Il me répond, « laisse moi déjà passer ce soir pour voir ce que je fais ». Il me quitte, il doit passer toute l’après midi et la soirée à une heure de Rome pour comptabiliser les votes de l’étranger dans un lieu à l’écart.
Dès 16H30, les premières projections tombent. Les commentateurs lisent les sondages.
Cela donne aussi l’impression qu’ils tiennent l’antenne en maintenant un suspens.
Grillo fera de toute façon un excellent score. Il a fait un meeting précurseur à San Lorenzo (quartier étudiants et branché) vendredi soir. Il a rempli la place.
Il a mis les foules sur les places, pendant que les autres choisissaient classiquement les plateaux télé.
Le suspens se fixe autour du Sénat, car Bersani semble être assuré de la majorité à la chambre des députés. A suivre.