Dans cette perspective, l’intercompréhension entre langues apparentées représente une modalité nouvelle des échanges. Sa définition de base est la suivante : « Je te parle ma langue, tu me réponds dans la tienne et nous nous comprenons. »
Cette approche se fonde sur trois principes. D’abord, nous sommes donc tous virtuellement plurilingues : cela ne signifie pas que nous parlions tous nombre de langues, mais que nous avons les capacités à les acquérir et à les pratiquer, selon les circonstances, selon nos besoins ou nos envies. Ensuite, les langues ne sont pas des ensembles étanches : elles échangent, s’influencent, tout en gardant des traits originaux qui les rendent spécifiques. Enfin, la langue n’est pas seulement un vecteur de la communication, elle est également la forme même du savoir et de la vision du monde.
La conclusion opérationnelle que va en tirer l’intercompréhension, c’est d’une part que circuler dans les langues autres nous fait mieux découvrir la nôtre et en user, d’autre part que l’acquisition du savoir et des valeurs passe par la ou les langues. L’enjeu est ici éthique et politique, mais avant tout didactique
Ce qu’on appelle couramment « parler une langue » recouvre en réalité des compétences bien distinctes : deux de compréhension (écouter, lire) et deux de production (parler, écrire). L’intercompréhension privilégie délibérément les compétences de compréhension. Ce choix présente des avantages fonctionnels forts : la rapidité d’apprentissage, l’adaptation à des situations concrètes fréquentes (par exemple, quand nous surfons sur l’internet, c’est pour lire, non pour parler). Mais comme les compétences sont évidemment en interactions multiples, l’entrée délibérée par la compréhension écrite va amener tout naturellement l’apprenant à vouloir s’exprimer dans d’autres langues, et non plus seulement les comprendre.
La recherche sur l’intercompréhension, comme didactique, concerne en amont les mécanismes psycho-, neuro- et sociolinguistiques par lesquels s’exerce la communication. Elle touche, en aval, les pédagogies à mettre en œuvre pour faire apprendre les langues : bâtir le savoir à partir de la langue de l’apprenant (pour lui donner la conscience à la fois de l’invariation des faits de langue à l’intérieur de sa famille linguistique et de la variation spécifique à chaque langue, sur le plan morphologique, syntaxique, etc.) ; construire des dispositifs pour accéder à la compréhension de l’oral ; adapter la pédagogie à l’âge de l’apprenant (et donc à sa capacité culturelle de compréhension des messages) ; chercher également l’articulation entre les cours dits « de langue » et les autres (car l’acquisition du savoir passe toujours par la langue). Ce sont là les pistes – et les défis – pour intégrer l’intercompréhension aux structures de l’école ou de la formation professionnelle.
En instaurant une égalité entre les langues et les locuteurs, l’intercompréhension met en action le multilinguisme et, par là, pose une éthique de la communication. Quand chacun garde sa langue en communiquant avec les autres, il s’établit entre les interlocuteurs une écoute mutuelle : sur le plan linguistique évidemment, mais aussi, dans un sens plus large, par une attitude de respect réciproque des points de vue. Les interlocuteurs n’aliènent pas leurs capacités d’expression en devant se couler avec plus ou moins d’aisance dans la langue de l’autre, ni d’ailleurs en devant recourir à une langue tierce. Et c’est là un second aspect de l’éthique de l’intercompréhension : elle n’oblige pas à chercher la communication via une langue globale – étrangère aux locuteurs – qui, par son utilisation même, implique de reléguer la langue de chacun à la dimension d’une langue périphérique, locale.
L’enjeu est donc à la fois éducatif et politique : fonder une méthodologie pour « apprendre à apprendre les langues », tout en donnant à cet enseignement un caractère citoyen et démocratique.
Par Pierre Janin
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bibliographie
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