Le romancier qui ne veut pas d’histoires !

Matias Lair, Aucune histoire, jamais, roman, Paris, Les éditions Sans escale, 2021. 160 pages 13 €

Mathias Lair n’est pas un nouveau venu dans l’arène littéraire. Il a publié une trentaine d’ouvrages divers et pratiqué tous les genres. Aucune histoire, jamais, son 3roman, annonce déjà le programme. Vous l’aurez compris, Mathias Lair a perdu la foi, la foi dans la fiction s’entend. Ils sont nombreux dans ce cas. Mais lui s’acharne à vouloir la retrouver. C’est bien. Mais que peut-on donc raconter si on refuse de raconter une histoire ? Alors, on peut raconter l’impossibilité d’en raconter une ! Ce n’est pas nouveau, me direz-vous. Mais l’impétrant y met ici tant d’efforts et de bonne volonté que cela suscite quelques intérêts.

D’emblée, il attaque bille en tête. « Faut-il faire l’histoire, il me dit. Ou la refaire. Il faut des personnages, une situation de départ, et une crise : des tensions, de la bagarre et de la douleur (quelques jouissances aussi) pour arriver au dénouement, à l’issue, pour passer sous le mot “Exit”, inscrit en lettres lumineuses au fond de la salle désormais obscure.

On retrouve ici énoncées les règles aristotéliciennes de la dramaturgie dont le cinéma s’est servi pour imiter le roman avant de s’en émanciper et imposer urbi et orbi la puissance magnétique de ses images. Que reste-t-il donc au roman pour retrouver son horizon d’attente ? C’est la question que se pose tout écrivain aujourd’hui, lui dont le métier est d’aligner des signes sur une page blanche que des lecteurs occasionnels liront peut-être. Lair n’est pas le premier romancier à vouloir scénariser les images qui défilent dans sa tête. Mais comment y parvenir sans tomber dans les clichés, au sens propre et figuré ?

Pour ce faire, l’auteur invente un dispositif qui s’apparente à une séance de psychanalyse. Chaque semaine, à chaque étape, il vient raconter ce qu’il a écrit à un “Vieux” dont “il ne connaît que la voix”, mais qui se plaît à le descendre en flamme et l’oblige sans cesse à remettre l’ouvrage sur le métier. On aura vite reconnu la topique de l’inconscient freudien ; avec le ça, le moi et le Surmoi.

Le Vieux ici agit comme le Surmoi qui empêche l’écrivain de donner libre à l’énergie psychique de son inconscient. Mais celui-ci d’abord cherche à déjouer ces critiques en faisant valoir un argument d’autorité qu’il va chercher dans l’érudition, chez Ibn Arabi un philosophe soufi du moyen-âge qui ne “cherche qu’à mettre en forme ses hallucinations”. Mais le Vieux aussitôt l’envoie paître. “Lui qui ne jure que par la marquise de Sévigné et par Saint-Simon” lui impose son programme d’écriture.

Ouste au boulot ! La clef dans une bonne fiction, c’est le personnage. Construis-lui donc une vie. Telle est l’injonction. Qu’à cela ne tienne. En bon élève, Lair lui trousse une biographie qui ressemble à la sienne. Pourquoi pas ? Il imagine un couple, leur relation compliquée dans cet immédiat après guerre où la morale pèse de tout son poids et où pleuvent les coups du père. Voilà la jeune fille enceinte. Mais qui donne des coups de pied dans son ventre ? Est-ce le Personnage ? Ou l’auteur ? Le narrateur décrit non sans quelques bonheurs les sensations intra-utérines. Il le sent, il tient une piste. D’ailleurs les mots lui viennent aisément, comme chez Boileau. Que diable, il n’est pas écrivain pour rien ! Mais que dira donc son mentor ? Osera-t-il lui tenir tête et résister à ses diktats ? Mais non. L’Ancêtre-surmoi est le plus fort et l’envoie encore une fois bouler.
Cette fois, il invite à visiter l’Élysée, pour voir s’il y est. Et de se payer la tronche du jeune président trop libéral à son goût. Il n’a pas tort. Mais enfin, cela ne fait pas une histoire ! Pourquoi ne pas transgresser la science-fiction ? En élève obéissant, Lair s’exécute à nouveau. Il a du talent. Et de métier. C’est sûr. Mais a-t-il de la volonté ? De l’esprit ? N’est pas Italo Calvino qui veut.

Ses incipits à la queue leu leu ne font pas une histoire. Mais c’est précisément ce qui était voulu. “Aucune histoire, jamais”. Pourquoi ? Parce qu’elle est décrédibilisée, tout le monde le dit. Notre époque hyperlibérale veut des “histoires vraies”. Circulez. Il n’y a rien à lire.

Comme nombre de ses camarades de sa génération, Lair témoigne de la difficulté de s’affranchir du jargon structuralo-lacano-marxiste ayant fleuri durant sa jeunesse. Pourtant son “patronyme” aurait pu l’inspirer pour s’envoyer en l’air  et ainsi gagner le ciel ! À une autre époque, Dante y a retrouvé un autre “Vieux”, son aïeul, autrement bienveillant et disposé à l’égard de son illustre descendant. Au lieu de le casser, il l’encourage et lui prédit la gloire future, mais l’incompréhension de ses contemporains durant sa vie terrestre. Voilà la différence. Pour mériter le ciel de la reconnaissance, il convient de s’affranchir (un peu, mais pas trop) de son surmoi castrateur et de croire… au ciel… sinon on reste en enfer !

 

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