« Petit déjeuner chez Tyrannie » avait fait connaître Eric Naulleau . Voici un entretien que nous avons publié en le 30 juin 2004
Actually, in the world of French literary criticism, there is no need for corruption. The exchange of friendly services is quite sufficient… Apathy ? It is a fact that few people have the courage to say what they really think. Some believe that it just isn’t worth the trouble. I don’t go for that : things are changing… It is no longer so easy as it once was to lynch the dissident writers and thinkers in the media. As for the atrophy or dulling of the critical sense, this is the consequence of a greater cultural supply in a supply and demand environment. With 650 novels published last September, how can one expect anything but a battle for the survival of the fittest ?
COMBATS : Dans votre analyse des pratiques du milieu littéraire, vous parlez de « corruption, d’apathie, proche de la mort cérébrale, et d’atrophie du sens critique qui affectent le monde des lettres ». Pouvez-vous vous expliquer sur ces trois termes qui me paraissent emblématiques de votre propos ?
ERIC NAULLEAU : En réalité, dans le monde de la critique littéraire la corruption est devenue inutile. Les échanges de bons procédés suffisent, et ils sont légions : j’écris une tartine hagiographique sur ton dernier livre dans « un grand quotidien du soir », tu me sers le même plat dans la boutique d’en face… L’apathie ? C’est vrai que peu de gens ont le courage de dire ce qu’ils pensent. Certains s’imaginent que cela n’en vaut pas la peine. Je crois tout le contraire, et les choses sont en train de changer, l’audience de ce livre en témoigne. On ne peut plus lyncher médiatiquement les dissidents aussi facilement que par le passé. Quant à l’atrophie du sens critique, c’est surtout la conséquence d’une offre culturelle démultipliée. Avec les 650 romans parus en septembre dernier, comment voulez-vous que l’on n’assiste pas à une lutte pour la vie ? Cela explique, pour une grande part, les stratégies de communication et l’attitude de plus en plus agressive des auteurs. Laquelle est relayée par la critique. La vie littéraire est devenue une lutte perpétuelle, c’est le règne convenu de la guerre de tous contre tous.
C’est la raison pour laquelle vous écrivez « qu’il est temps de sonner le réveil » ?
En écrivant ce livre, j’ai d’abord voulu mettre de l’ordre dans mes réflexions. Pourquoi les mœurs de la république des lettres s’apparentent-elles tant à celles des dictatures de l’ancien bloc de l’Est ? (je parle en connaissance de cause, j’ai vécu en Bulgarie !). A Paris aussi, il y a des murs à abattre.
Mais est-ce bien nouveau ? Dans les années 50, pour prendre un exemple célèbre, la querelle entre les sartriens et les camusiens ne produisit-elle pas les mêmes effets ?
Ce qui est nouveau, c’est le rôle des favoris et des favorites, les renvois d’ascenseurs… Dans ce milieu tout a un prix. On est dans l’ère de la professionnalisation, auparavant tout cela était artisanal… Vous évoquez Sartre et Camus, mais à leur époque il y avait de véritables enjeux transcendants. Alors qu’aujourd’hui… la posture remplace le style, le narcissisme, la pensée. Et regardez comment tous ces gens, les Sollers et autres, évacuent l’Histoire.
Votre livre est écrit d’une plume ironique mais ce n’est pas un pamphlet…
L’ironie est l’un des derniers lieux où l’on ne se sente pas en position d’imposture. L’indignation chimiquement pure, je ne m’y retrouve pas. L’ironie permet le recul, la bonne distance et fait naître la pensée claire. Vous avez raison, ce n’est pas un pamphlet. Dans le pamphlet, c’est le brio du style qui devient l’objet.
Et le pamphlet exprime une violence qui est l’envers, et par là la même chose, de ce que l’on veut combattre.
Oui et c’est ce qui a dérouté, semble-t-il, les responsables du « Monde des livres », il n’y a pas de violence dans mes propos. L’ironie casse les règles du jeu pour en proposer d’autres, l’écriture pamphlétaire, au contraire, témoigne d’un amour déçu devenu vengeur. Il n’y a pas de passion dans Petit déjeuner chez Tyrannie. Juste une distance critique. D’ailleurs, j’ai l’intention d’allonger encore cette distance dans un prochain ouvrage qui commence à prendre forme précise dans mon esprit. Il me faut en effet remettre le couvert dans la mesure où, quelques mois après la parution de mon livre, les murs se dressent plus haut que jamais. Les quelques critiques qui font admirablement leur difficile métier sont perdus au milieu d’un océan d’incompétence, de désinvolture et d’arrogance.