La loi NOTRe sur la réforme des Régions favorisera-t-elle l’avènement d’une politique publique de la diversité culturelle ? C’est une des questions-clés soulevée à Rennes le 11 mai dernier lors du colloque thématique organisé par l’ODC, Cha’red et Les amis de l’Algérie dans le cadre du programme «Rennes au pluriel». Cette manifestation s’est déroulée dans la salle multimédia du quotidien Ouest France et a réuni une quarantaine de participants dont plusieurs élus de la métropole rennaise et des environs.
Les droits culturels inscrits dans l’article 103 de cette loi peuvent-ils en effet servir de trait d’union entre les identités régionales et celles issues de l’immigration pour réaffirmer les régions françaises au sein de l’État, dans le grand ensemble européen et au sein de la mondialisation ? Et si oui, quelle interprétation en donner ? Ces interrogations, qui n’étaient pas sans évoquer le délicat équilibre multiséculaire entre pouvoir central et pouvoir régional, étaient en filigrane dans les discussions qui se sont déroulées tout au long de cette journée passionnante et qui ont abordé autant les singularités culturelles et linguistiques que la formation professionnelle, le développement économique et l’espace de débat civique.
Quatre moments ont scandé cette journée. La première table ronde a été consacrée aux notions qui balisent ce nouveau périmètre géopolitique que constitue la diversité culturelle. Kalli Giannelos, de la Commission française de l’UNESCO, a d’abord situé les significations et enjeux du concept de diversité culturelle à travers la Convention de 2005 de l’UNESCO, du point de vue de son histoire. Son intervention a également porté sur les leviers d’actions pour le rapprochement des cultures, à la confluence des politiques culturelles institutionnelles et des initiatives de la société civile.
Pour sa part, Fulvio Caccia, écrivain et directeur de l’ODC, a rappelé que la déclinaison dans le droit français de la Convention de l’UNESCO de 2005 s’est faite dans la Loi NOTRe, en permettant à chaque citoyen d’être un acteur de la culture qu’il veut privilégier. Ces droits culturels s’appuient sur deux axes : la liberté d’expression et les conditions rassemblées pour permettre à cette liberté de s’exprimer. Le premier participe de l’art. Le second renvoie à la culture c’est-à-dire à l’éducation qui la sous-tend et au domaine public. Car elle résulte du croisement et de la comparaison avec d’autres cultures que la nôtre. Cette perspective implique l’engagement de sa propre identité et non simplement la consommation de produits culturels.
Une politique authentique de la diversité culturelle permettrait de dépasser les inégalités induites par l’ultralibéralisme et les limites de l’étatisme en faisant de l’éducation tout au long de la vie, la pierre de touche d’une démocratie renouvelée.
Enfin Aït Abdelmalek, professeur en sociologie, Université de Rennes II, a évoqué les principes recteurs qui doivent gouverner selon lui une politique de la diversité culturelle, principes que l’on retrouve dans la Déclaration des droits de l’homme.
Cette table ronde modérée par Toufik Hedna, président des Amis de l’Algérie, s’est poursuivie par une discussion sur les singularités de la Bretagne à laquelle ont participé deux élus municipaux, Benoît Careil, maire adjoint délégué à la culture (Rennes) et Yann Syz, maire adjoint délégué à la jeunesse de Lorient. L’un et l’autre ont rappelé les dispositifs déjà mis en acte pour rendre compte de la diversité culturelle au sein de leur municipalité. La nouvelle réforme du collège serait à cet égard une opportunité car elle libère du temps scolaire pour une meilleure connaissance de la diversité historique qui fonde la culture française contemporaine.
La survie de la langue bretonne a bien sûr été évoquée au moment des questions. Monsieur Syz, issu de la mouvance autonomiste, a rappelé qu’au lieu de cliver l’identité française sur ses différences et renvoyer à un repli régional de funeste mémoire, l’apprentissage bien compris du breton est au contraire un atout politique et une opportunité économique qui permettrait de créer un marché régional autour de la langue et des ses déclinaisons, une réelle valeur ajoutée pour le région Bretagne. Quant au modérateur, Gérard Prémel, il a évoqué la nécessité de pouvoir saisir l’occasion d’une réflexion en profondeur sur ce thème.
L’intermède de la pause déjeuner a été assuré par Natacha Jeunesemiril, une conteuse haïtienne qui a joué un extrait d’un conte haïtien qu’elle interprète sur la scène rennaise.
L’après-midi s’est poursuivi autour de l’Europe, la diversité culturelle et les régions. L’Europe a souvent été vue comme une chance pour les régions, nécessaire contrepoids à l’État. Y a-t-il et peut-il y avoir une culture régionale affirmée en phase avec l’expression de la diversité culturelle défendue par l’Union Européenne ? Quelle place pour l’expression des cultures régionales au sein de l’Europe ?
Cette table ronde animée par Thibaud Willette, président de l’ODC, a permis de mettre en parallèle deux expériences régionales différentes mais complémentaires. D’abord Mylène Laurant, attachée principale, Relations internationales et suivi des directives Européennes, Francophonie Bruxelles, a expliqué l’intrication des divers niveaux interrégionaux sur le territoire belge ainsi que le transfert de compétences découlant des réformes constitutionnelles. Prenant exemple sur la Commission communautaire française, limitée aux 19 communes, elle s’est interrogée sur l’émergence d’entités infra-étatiques sur la scène internationale. Ce qui fait de la Belgique un état postonational et sa capitale, Bruxelles, une entité géopolitique à part.
Robert Scarcia, journaliste indépendant, a choisi d’aborder la singularité du Pays Basque de France sous deux angles. D’une part, la composition d’une intercommunalité (ECPI) composée par toutes les communes des trois régions basques historiques du Labourd, Basse Navarre et Pays de Soule à l’intérieur de la nouvelle région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente. Cette nouvelle intercommunalité permet au Pays Basque de se positionner à l’intérieur de cette super-région nouvellement formée. Un contre-poids bienvenu qui fait de cette ECPI de la taille démographique du Danemark et au périmètre géographique de l’Autriche, de devenir le second bassin de population après Bordeaux.
Mais les prémisses se trouvent dans l’expérience de coopération transfrontalière qui depuis la fin des années 90, se déploie sous le nom de Consortium Transfrontalier Bidassoa-Txingudi, une entité qui unit les communes d’Hendaye et les villes espagnoles d’Irun et Fontarabie. La spécificité de cette forte culture régionale partagée entre deux états peut être un exemple pour l’Europe.
Jeanne-Françoise Hutin a continué dans la foulée en citant Claude Monnet qui aurait affirmé que « si c’était à recommencer, je commencerais par la culture ». La présidente et fondatrice de la Maison de l’Europe de Rennes et de Haute-Bretagne a rappelé que le ciment de l’Europe réside dans cette vieille tradition humaniste qui a finalement réussi à pacifier son territoire. La culture aujourd’hui n’est plus l’élément clivant qui attise les nationalismes et les différences, mais bien un pont jeté au-dessus des nations pour qu’une communauté de destins puisse persister et prospérer à l’échelle européenne. Ce vibrant plaidoyer de madame Hutin, qui a vécu les affres de la seconde guerre, a conclu cette table.
Enfin, last but not least, les artistes. Quelle place ont-ils dans la culture de leur région ? Doivent-ils « s’expatrier » dans la métropole ou la capitale pour obtenir reconnaissance et légitimité ? Yvon Le Men, poète breton, auteur de Les rumeurs de Babel et d’une quarantaine d’ouvrages, en est le vivant contre-exemple. Invité à définir la singularité bretonne, le poète s’en est bien défendu en évoquant la grande tradition poétique française qui fait de la langue même la patrie et le lieu d’expérimentation du poète. Et pour lui ce fut et demeure le français. Ceci étant, le responsable de la poésie du festival Étonnants voyageurs a ensuite insisté sur l’importance de garder l’aventure ouverte sur l’universel que ce soit auprès des poètes du monde ou dans les quartiers populaire comme celui de Maurepas de Rennes où il a donné la parole aux habitants qui venaient des quatre coins du monde.
C’est au titre de musicologue que Kalli Giannelos est intervenue cette fois en éclairant l’application du concept de diversité culturelle dans l’univers musical et les différents angles d’approche qui en résultent. À plusieurs égards, la musique est un domaine qui illustre de façon paradigmatique la profondeur de la signification du terme « tradition » et des questions d’identité culturelle qui y sont reliées.
Enfin Simon Pinel, directeur éditorial des éditions Critic de Rennes a présenté sa jeune maison d’édition et les diverses collections qui la composent. D’abord librairie fondée en 2000, Critic s’est lancé dans l’édition en octobre 2009. Il propose des romans d’auteurs français à raison de 8 à 12 titres par an sur tout spécialisé dans la fantasy, la science-fiction, le fantastique ou le policier. Pourquoi la fantasy en particulier ? Parce que dans une certaine mesure ce genre et sa variante qui lui est antérieure, le merveilleux, sont depuis toujours présents dans l’imaginaire de la représentation bretonne,de Merlin l’enchanteur à la forêt de Broceliandre…a expliqué pour sa part Yvon le Men.
Voila qui ne pouvait pas mieux conclure cette rencontre organisée en collaboration avec Ouest-France et la librairie Le Failler, et avec l’appui de la Commission française de l’UNESCO et de Rennes Métropole dans le cadre de « Rennes au Pluriel ».