Le film ayant remporté le prix de la meilleure photo de cette 65e édition du Festival du cinéma de Saint-Sébastien est « Der Hauptmann », le capitaine. Sous la caméra du primé Florian Ballhaus, cette œuvre allemande réalisé par Robert Schwentke, raconte l’histoire vraie d’un jeune soldat de la Wermacht qui, ayant trouvé un uniforme de capitaine lors des dernières semaines de la guerre mondiale en profite pour usurper un rang qui ne lui appartient pas et devenir le protagoniste d’horreurs dont il est lui-même l’instigateur.
« Le film est en noir et blanc pour permettre aux spectateurs de regarder au delà du sang et prendre de la distance vis-à-vis des horribles événements qui déferlant sur l’écran» a expliqué le réalisateur. En fait, le film est très violent. Non seulement le faux capitaine, à la tête de soldats allemands en débandade, s’adonnent aux pillages de ce qui reste de leur propre pays, l’Allemagne détruite, mais se mettent à fusiller des déserteurs.
Telle est bien l’originalité de ce film : pour la première fois au cinéma surtout celui relate les faits sur la seconde guerre mondiale, les victimes de la barbarie nazie ne sont pas des slaves, des soviétiques, des juifs ou des maquisards mais des soldats allemands déserteurs. Il faut souligner qu’en fait la frontière entre désertion et pillage est très labile et que parfois on a du mal a croire que des soldats élevés dans l’idéologie raciste du Troisième Reich passent à l’acte contre leurs compatriotes en civil.
Mais apparemment c’est de l’histoire vraie : « La désertion pendant les derniers mois de la guerre était très forte » a expliqué le réalisateur. « Dans des villages d’Allemagne en 1945, on pouvait voir arriver d’un jour à l’autre jusqu’à 200 soldats en fuite » souligne Schwentke, qui admet d’avoir ainsi essayé d’ouvrir un autre angle de narration sur la seconde guerre mondiale.
Passons du faux capitaine au faux amant, de l’homme qui tue sans honte à celui qui cherche par amour à éviter la déportation dans son pays d’origine. « The Charmer » est le titre du film de l’iranien Milad Alami. L’histoire peut paraître banale : un Iranien essaie de trouver une épouse locale pour rester en Danemark et éviter ainsi d’être renvoyé en Iran. « Quand la seule chose que tu peux offrir est ton corps, cela peut conduire à des endroits très obscurs et destructeurs » a expliqué le cinéaste irano-scandinave. Remarquons que nous sommes très loin de l’esprit libertaire des réalisatrices d’Alanis, la prostituée argentine (voire chronique précédente).
Mais tout au long du film, l’histoire change et se transforme en un rencontre amoureuse entre l’immigré récent et une fille de la même souche iranienne mais née et ayant grandi au Danemark. Voilà que le film raconte la rencontre entre deux personnes séparées par des contextes culturels fort différents, mais unis par le partage de la même langue maternelle.
Peut-être sans s’en rendre compte, Milad Alami souligne le double valeur de la langue comme véhicule de communication et de culture ; et parfois, on peut très bien communiquer sans voir les différences culturelles, sous le masque de la langue commune.
Le prix de la meilleure scénographie est allé aux argentins Diego Lerman et Maria Meira pour « Una especie de familia », une sorte de famille. Le film raconte l’histoire d’une femme bobo, qui cherche à adopter un enfant né d’une femme pauvre et paysanne au fin fond de la pampa. Deux femmes, on ne peut plus différentes par leur caractères et leur extraction sociale, se retrouvent en tant que victimes d’un réseau de médecins et de cadres administratifs qui profitent du « business » de l’adoption. Dans sa recherche désespérée de maternité, la protagoniste prend des décisions parfois extrêmes. Lerman, le réalisateur a expliqué qu’il voulait « montrer comme un tentative de construire une famille, reflète la construction d’une morale sociale avec ses ambivalences et ses ambiguïtés ».
Terminons cette chronique par un coup de chapeau au réalisateur russe Andrey Zvyagintsev, dont le dernier film Nelybov (Faute d’amour) a obtenu le prix du jury du festival de Cannes. Le film était à Saint-Sébastien hors section officielle et nous en parlons parce qu’encore une fois, on traite du désarroi d’une couple suite à la disparition d’un enfant (voire chronique précédente et le film Pororota)). Mais ici, il s’agit d’un couple qui se sépare violemment et on suspecte que le jeune garçon a fait une fuite pour éviter de se confronter avec la haine qu’il perçoit entre ses parents. Sous ce fond tragique de perte, les parents mobilisent tout ce que la société civile russe contemporaine peut offrir. Zvyagintsev (auteur de Elena, Leviathan), brosse un portrait de la Russie urbaine, parfois aisé, parfaitement intégré dans le système capitaliste et ses modes de consommation. Mais le film est aussi une métaphore politique, culturelle et historique de la Russie post-soviétique. La scène finale du film que nous ne révélerons pas présente un parallèle entre la perte du fils et la perte de l’Ukraine…
A propos du film roumain Pororota nous avons parlé de « la force silencieuse de la culpabilité » comme moteur qui conduit le père de l’enfant disparu à la destruction. Dans le russe Nelybov, la même force silencieuse est un frein qui exprime l’impuissance, personnelle et politique : le fils est perdu, l’Ukraine aussi. Et tout ça peut être est aussi lié à notre propre culpabilité.
Robert Scarcia
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