La diversité ne se réduit pas simplement à sa variante culturelle, politique (le fameux pluralisme) ou encore biologique (la biodiversité), elle se décline plus que jamais dans l’espace technologique. Un éloquent contre-exemple nous a été donné récemment par l’espionnage opéré par les services secrets américains avec la complicité intéressée des principaux opérateurs numériques (Google, Facebook, Apple, Microsoft). Désormais nul besoin de déployer les grandes oreilles radar vers la ionosphère pour capter les ondes radio de tout un chacun comme naguère le faisait le programme Echelon ( Au fait-il toujours en opération ?), il s’agit simplement de se brancher à la source , directement sur les serveurs de ces méga-aggrégateurs d’information. C’est ce que nous révélait le 4 juin dernier le Washington Post et The Guardian.
Mardi dernier, leur source a décidé de se montrer au grand jour. Il s’agit d’Edward Snowden, 29 ans, un informaticien d‘une société privée qui sous-traitait le contrôle des communications des citoyens des États-Unis pour le compte de la toute puissante et occulte National Security Agency. Dans son entretien au journaliste The Guardian, le jeune informaticien , réfugié à Hong Kong, révélait combien il lui était alors facile d’avoir accès aux données personnelles de n’importe quel citoyen y compris le président lui-même si cela s’était avéré nécessaire. Une perspective qui donne froid dans le dos. Ainsi donc, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, le fameux « Patriot Act », l’une des plus grandes démocraties du monde confirmerait sa tentation totalitaire vingt ans après que son ennemi historique se soit effondré pour l’avoir justement érigé en dogme. C’est le serpent qui se mord la queue.
S’il ne pas encore le visage du totalitarisme dur qui régnait naguère derrière le Rideau de fer, c’est que les avancées époustouflantes de la technologie numérique permettent à la société de l’information d’avancer masquée en brandissant justement la démocratie et l’éducation accessible à tous comme autant de leurres.
Mais quelle est la nature de cette société mondialisée qui s’américanise en apparence non seulement par sa culture du divertissement mais également par l’adhésion aveugle des élites nationales du monde entier aux protocoles de gestion et de management développées naguère par l’Oncle Sam. Loin de moi l’idée d’emboucher les trompettes de l’antiaméricanisme. Car c’est justement à l’instant où il s’internationalise que ce modèle perd toute référence nationale pour devenir le mode de gestion transnational du capitalisme avancé. Toutes les oligarchies du monde y apportent peu ou prou leur contribution. Naguère le PDG de Vivendi Univeral, s’était fendu d’une opinion dans le Monde pour déclarer et annexer par ce biais la diversité culturelle sous le giron de sa multinationale. Cette diversité dont le marché a besoin pour faire tourner la roue de la profitabilité, c’est celle des biens de consommation, réduit à l’état de simulacre culturel. Processus de fétichisation de la marchandise bien connu depuis Marx.
Aujourd’hui dans ce dispositif, c’est la marchandise même qui « disparaît » à son tour bien après avoir dissout le prolétariat au profit des protocoles de gestion de nos communications personnelles et de leur contrôle. C’est ce qu’avait mis en lumière un Baudrillard par exemple et que confirme la privatisation des ces protocoles de contrôle. Il est en effet significatif que des entreprises privées obtiennent par appel d’offres de telles responsabilités.
L’amérindien jadis, l’internaute d’aujourd’hui : même combat
Cette privatisation de modes de contrôle est comparable à la privatisation pas si lointaine de larges secteurs du domaine public. C’est une constante du capitalisme depuis l’origine dont les conséquences sont paradoxalement de réduire d’autant l’espace de liberté. Et cela passe par le droit et la reconnaissance de la propriété privée sur ce nouveau territoire bien plus lucratif que le bien foncier : les données personnelles. C’est ce droit que Facebook reconnaît à l’utilisateur de son réseau social. En échange de la publication de ces données personnelles, il lui demande simplement « une licence non-exclusive, transférable, sous-licenciable, sans redevance et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle…» (Déclaration des droits et responsabilité, article 2.1). C’est précisément ce droit de propriété que les juristes néerlandais ont reconnu aux Indiens de Manhattan pour ensuite leur racheter leur terre à vil prix. Ce principe de propriété a été ensuite appliqué mutatis mutandis à l’ensemble des tribus indiennes d’Amérique du nord pour mieux leur extorquer leur territoire. Or c’est sur ce droit reconnu sur lequel se fonde l’essentiel des revendications actuelles des Amérindiens sur leur ancien territoire.
Avancées pour les uns, hypocrisie pour les autres il n’en demeure pas moins que ce droit à la souveraineté personnelle est en train d’émerger comme le nouvel Eldorado, la nouvelle « richesse des nations » qui peut dériver aussi en accord de dupes. La transformation de l’internaute en auteur reconduit sous les projecteurs la confrontation entre « droit d’auteur » et « copyright ». C’est un dilemme que les écrivains connaissent bien : que faire de ses droits universels si personne ne les exploite ?
Bien que ne se situant pas au même niveau qu’une œuvre littéraire, les donnes personnelles sont exploitées en fonction du même principe : le droit de propriété intellectuelle. C’est la matérialisation d’une œuvre de l’esprit sur un support matériel (un livre papier) qui en fait un objet public et exploitable. Avec les données personnelles, nous demeurons dans le virtuel et l’agrégat. C’est l’addition des fichiers personnels qui fait masse et devient exploitable.
Que faire face à cette marchandisation de la vie privée ? Aujourd’hui les outils existent (Voir article ci-dessus)
Il n’en tient qu’à nous de les utiliser . A bon entendeur Salut !